lundi 25 octobre 2010

En cuisine - Monica Ali


J’avais adoré – comme beaucoup, puisqu’il a été finaliste du Man Booker Prize 2003 – le premier roman de Monica Ali, Sept mers et treize rivières, et j’attendais avec impatience le second. Quand j’en ai lu le résumé, j’ai été plus qu’emballée : le monde de la cuisine intriguant en lui-même, les promesses londoniennes de melting-pot, le héros tellement anglais…

Chef du restaurant de l’Imperial, un grand hôtel londonien, Gabriel Lighfoot ne maîtrise plus grand chose de sa propre vie. Et c’est la mort mystérieuse d’un des employés dans les sous-sols de l’Imperial qui lui en fait prendre conscience.
Professionnellement d’abord, Gabe s’aperçoit qu’il ne sait rien de ce qui passe dans les cuisines qu’il est censé diriger. Il ne connaît véritablement aucun de ses équipiers : immigrés de cultures et de pays différents, la plupart sont là par défaut – pas par passion comme ce fut son cas il y a une quinzaine d’années –, parfois pour longtemps mais plus souvent tels des éléments interchangeables envoyés par des agences d’intérim se chargeant de tout. Derrière les frigos, Gabriel découvre de sinistres secrets – passés terrifiants, quotidiens douloureux, chantages, trafics, prostitution… C’est tout un monde, assez glauque, qui lui apparaît.
Il tente de nouer de nouvelles relations avec certains de ses employés mais aucun ne comprend cet intérêt soudain – a-t-il quelque chose à leur reprocher ? – et chacun fait attention à respecter la hiérarchie. Quant au restaurant qu’il est en train de monter, Gabriel doute de plus en plus de ses deux partenaires qui chaque jour le dépossèdent davantage de la substance, du « concept », de ce lieu censé être le sien.
Personnellement ? Les choses ne sont pas plus simples. Après avoir ignoré des dizaines de messages, Gabriel apprend avec effarement que son père est très gravement malade et que sa grand-mère quasi sénile va devoir être placée… Il essaie alors en quelques mois de recoller ses bribes de souvenirs avec ce que chacun lui raconte, et de mettre ainsi à jour la réalité de son enfance et, surtout, de ses parents.
Quant à sa vie amoureuse, sa relation en apparence harmonieuse avec Charlie est mise à mal par l’irruption de Lena, jeune fille de l’Est, désagréable et fuyante. C’est ce personnage et son lien improbable avec Gabriel qui m’ont fait « décrocher » en quelque sorte du roman : je n’ai pas réussi à y croire un instant et tout le reste m’est apparu bien trop artificiel, trop « fabriqué ».

Au risque de filer la métaphore un peu lourdement (mais je ne sais pas comment mieux l’exprimer), tous les ingrédients y étaient mais trop abondants, trop rapidement effleurés. Les digressions sont nombreuses, les descriptions souvent trop longues, les enchaînements abrupts…
En cuisine, c’est donc toute la vie de Gabriel qui se fissure, bout par bout, et le lecteur en prend connaissance en même temps que lui. C’est peut-être aussi pour cela que je me suis sentie totalement perdue dans ce roman : le récit est à l’image de ce héros qui ne sait plus où il en est, remet en question toutes ces certitudes, et découvre des facettes méconnues de sa propre réalité.
Bref, malgré de nombreuses qualités – en premier lieu, des personnages très riches et le projet d’évoquer les difficultés des migrants–, ça n’a pas fonctionné, je suis restée irrémédiablement en dehors de ce livre.


Lu dans le cadre de Masse critique. Merci aux éditions Belfond et à Babelio.

En cuisine, Monica Ali (Belfond, 640 pages, 2010)
Traduit de l'anglais par Isabelle Maillet


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vendredi 22 octobre 2010

Le dernier des Savage - Jay McInerney


J’ai découvert Jay McInerney il y a une dizaine d’années, avec Trente ans et des poussières (1993) : roman générationnel du New York culturo-intellectuel de la fin des années quatre-vingts (que le héros travaille dans l’édition n’est certainement pas étranger à mon goût pour ce livre). Son recueil de nouvelles La fin de tout (2003) m'avait heureusement séduite, moi qui affectionne si peu ce genre littéraire. Je les ai relus et m'en suis certainement faits une impression plus mûre (mais toujours positive!) quand, en 2007, a paru La Belle vie, suite un peu faible de Trente ans et des poussières .
Il y a une évidente parenté avec Brest Easton Ellis – ce n’est pas pour rien qu’ils sont amis –, toutefois McInerney est à mon sens moins gratuitement trash, plus subtil, mais certainement aussi moins corrosif et dérangeant.
On m’avait souvent parlé de ce roman de 1997 comme d’un grand livre, il était temps de ma faire mon idée…

Le dernier des Savage, c’est Will, jeune sudiste rebelle et fortuné, dont le plus proche ami depuis l’université, Patrick Keane, tente de raconter le parcours. Né dans une famille du Sud profond, Will Savage a été élevé dans l’opulence, les coutumes pseudo aristocratiques et le conservatisme. Mais lui refuse cet univers, ces codes d’un autre temps, et vit au rythme de la contre-culture, des idées nouvelles et des modes. Vite accro aux drogues et à l’alcool, il se consacre à la musique – noire surtout –, lutte contre la ségrégation, fréquente les milieux interlopes et disparaît pendant des jours à la façon d’un Jim Morrison…
Patrick est tout l’inverse : issu d’un milieu modeste, son entrée à Yale est la promesse d'un avenir qu'il pense radieux, d’une vie bien au-dessus de celle de ses parents. Il fait tout en ce sens et s'évertue à coller au plus près des codes. Son rapport à Will n’est pas dénué d’ambigüités : à la fois fasciné par ce personnage un peu fou et par Savage père qui représente toute l’assise sociale vers laquelle il espère tendre un jour ; envieux des conquêtes féminines de Will mais peut-être en peu amoureux ; jaloux de sa liberté effrénée et exaspéré par ses inconséquences…
Leur attachement n’en reste pas moins fort et parvient à traverser les années et c’est le portrait de ces décennies troubles qui se dessine peu à peu, davantage encore que celui d’une étrange amitié.

Un roman bien plus rude qu’il n’y paraît au départ, où Jay McInerney se montre éminemment critique vis-à-vis de la société américaine, de son racisme, de ses faux-semblants et de ses clivages de tous ordres. Pour l'instant, le meilleur que j'ai pu lire de lui.


Le dernier des Savage, Jay McInerney (L’Olivier, 408 pages, 1997 / Points, 416 pages, 1999)
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet


mercredi 13 octobre 2010

La nuit de l’infamie - Michael Cox


Un titre sans grand intérêt, une parution poche dans la collection « thriller historique », et une couverture racoleuse ? Bref, si je n’avais pas lu un article extrêmement élogieux sur ce livre, je ne l’aurais certainement jamais ouvert ! Et j’aurais manqué un très bon moment de lecture…

La « confession » d’Edward Glyver – ou plutôt le récit de sa vie – débute par un meurtre, dans une ruelle de Londres, en 1854. Cette froide exécution est censée être la répétition de celle de son « ennemi intime », Phoebus Daunt : acte de vengeance ultime et aboutissement d’une minutieuse enquête qui a révélé ce qui entremêlait leurs deux destins.
Edward entreprend alors de reconstituer sur le papier cette recherche et sa propre histoire, à la lumière de ses découvertes progressives. Et Phoebus est toujours là, parfois dans son sillage, parfois le précédant… La nuit de l’infamie est constituée de cette confession, annotée et enrichie de témoignages par "l'éditeur.

De nombreuses années auparavant, le hasard a conduit Edward à découvrir de troublants éléments en lien avec sa naissance. Son nom et son existence ne seraient ainsi que mensonge, et c’est de toute une destinée qu’il aurait été spolié – d’une grande lignée et d’une formidable promesse d’avenir et de réussite.
Il tente alors de dénouer les fils de cet imbroglio pour établir et prouver sa véritable identité. Son récit rejoint peu à peu le « présent » du meurtre de 1854 et de la rédaction de sa confession. On découvre alors en même temps qu’Edward la suite des événements.

La construction en « fausse confession » n’est pas inintéressante : elle nous plonge dans le mental, parfois trouble, d’Edward, dans ses obsessions ; on ne peut alors qu’adhérer à son point de vue de persécuté – et les quelques « témoignages » en fin de volume vont en ce sens.
L'architecture de l'ouvrage est remarquable, d'autant plus pour un premier roman : les longues incursions dans le passé, l'insertion de documents d'archives et de lettres dans la confession, la montée du suspense savamment mise en scène, etc. Seules les notes en bas de page, souvent superflues, m’ont gênée au départ mais j'ai fini par m’habituer à cet artifice.

Le lecteur est ainsi promené de Londres à la splendide demeure d’Evenwood, en passant par Sandchurch et Cambridge. On voyage au début du XIXe siècle entre la campagne anglaise et la plus grande ville au monde ; entre la haute société, ses petits arrangements et les bas-fonds nauséabonds ; entre des amitiés sincères et de terribles duplicités…
La nuit de l’infamie respecte tous les codes du roman victorien à suspense : le style qui nous plonge à l’époque de Dickens, les rebondissements inépuisables, le héros maudit, les personnages hauts en couleurs… Mais on ne tombe pas pour autant dans la caricature : et l’intrigue pourrait très bien, par ce qu’elle révèle de la nature humaine, se dérouler de nos jours.
Alors oui, il faut quelques dizaines de pages pour entrer dans cet univers, les coïncidences sont parfois énormes, les rebondissements usants, la déveine d’Edward exaspérante… Mais rien de tout cela ne fait le poids face à au livre passionnant qui se construit page à page et happe le lecteur pour ne plus le lâcher et lui faire regretter la dernière page.
À découvrir donc.


La nuit de l’infamie, Michael Cox (Seuil, 634 pages, 2007 / Points, 802 pages, 2008)
Traduit de l'anglais par Claude Demanuelli


mercredi 6 octobre 2010

Cul-de-sac - Douglas Kennedy


Ce premier roman de Douglas Kennedy est souvent cité par les amateurs de polar : ce qui m’a toujours interpelée étant donné ses livres ultérieurs… Il faut avouer que l’étiquette « best-seller » (surtout sentimental) me rebute plus qu’elle ne m’attire. Et pourtant, j'en ai lu quelques uns : et, si certains étaient bien trop sirupeux à mon goût, de Kennedy, j’ai apprécié La poursuite du bonheur. La curiosité a donc fini par l’emporter et je me suis lancée dans Cul-de-sac

Tombé par hasard sur une vieille carte de l’Australie chez un bouquiniste, Nick, un journaliste américain, décide sur un coup de tête de tout plaquer pour découvrir cet immense pays. Quarantenaire sans grande ambition ni carrière, rien ne le retient vraiment et il s'envole rapidement pour Darwin.
Tout démarre comme un road-trip alcoolisé, nous entraînant de bar en bar dans la chaleur suffocante de cette ville-frontière.
Cul-de-sac a d’abord du mal à trouver son rythme et on s’ennuie un peu pendant que Nick tente de s’acclimater à ce nouvel univers et cherche un moyen de locomotion.
Il dégote enfin un vieux combi Volkswagen et entreprend sa traversée du nord au sud, à travers des milliers de kilomètres de déserts interminables et quasiment vides de toute âme humaine.
Sauf que, grande leçon du roman : ne pas rouler la nuit dans le désert ! Ou c'est prend le risque de tomber sur un kangourou (k'rou avec l'accent), et c’est ainsi que Nick rencontre Angie avec qui il continue sa route…
Et là, je ne peux décemment pas vous en raconter plus ! Car c’est enlever tout le sel de ce roman que de gâcher l’effet de surprise.

Douglas Kennedy est davantage en verve que dans les autres textes que j’ai pu lire de lui – moins bridé et consensuel peut-être. Pour mémoire, j'avais en main la première traduction de The Dead Heart : la nouvelle, sous le titre Piège nuptial, apporte-t-elle une lecture réellement différente ?
En tout cas, Cul-de-sac est agréable à lire, souvent drôle, presque toujours absurde, et parfois triste. Un polar, en revanche, ce serait beaucoup dire, même s’il y a une forme de suspense.
Une découverte intéressante donc, et une lecture qui fut parfaite sur la plage !


Cul-de-sac, Douglas Kennedy (Folio, 290 pages, 2006)
Traduit du l’anglais (États-Unis) par Catherine Cheval
Cette édition est épuisée mais une nouvelle traduction (par Bernard Cohen) a paru sous le titre Piège nuptial (Belfond, 272 pages, 2008 / Pocket, 256 pages, 2009)