mercredi 31 août 2011

La couronne verte - Laura Kasischke


J’ai découvert Laura Kasischke avec La vie devant ses yeux, qui s’il ne m’a pas totalement convaincue, m’a saisie par sa profonde originalité. Depuis, je découvre chacune de ses parutions avec plus ou moins de bonheur, et le cru 2008 (j’ai un peu de retard, je sais !), La couronne verte, n’est pas totalement à la hauteur selon moi…
Laura Kasischke propose des romans sombres, à l’étrangeté subtile, déclinant chaque fois une mécanique similaire : une Amérique moyenne (de celle qui s’en sort à peine jusqu’à la classe moyenne plus), des protagonistes sans grande originalité, et un élément qui perturbe brusquement la situation somme toute assez banale.
La gravité du grain de sable varie : une carte de Saint-Valentin surprenante (À moi pour toujours), la disparition de la mère de l’héroïne (Un oiseau blanc dans le blizzard), la prostitution d’une réceptionniste de motel (A suspicious river) – tous ces livres ont paru chez Christian Bourgois. Quel qu’il soit, il s’agit toujours d’une critique plus ou moins déguisée des dérives de la société américaine. Et là est la dimension passionnante de cette romancière.

Dans La couronne verte, trois copines – Anne et Michelle, meilleures amies depuis l’enfance, accompagnées de Terry, à qui il convient parfaitement d’être l’éternelle troisième – partent une semaine en vacances pour fêter la fin du lycée. Après le traditionnel bal de promo, elles ont décidé de clore en beauté leurs années d’adolescence à Cancun, lieu festif par excellence où des milliers d’étudiants américains vont passer entre autres le fameux spring-break.
Elles savent bien ce qui les attend : plages paradisiaques, soleil, fête et cocktails à volonté… mais aussi, comme elles ont pu l’entendre, soirées débridées, alcool à outrance, drogues pas toujours consenties, étudiants prêts à tout…
Dument mises en garde par leurs parents – ne lâche pas ton verre des yeux, ne fais pas confiance aux inconnus, etc. –, elles quittent leur petite ville et s’envolent pour le Mexique.

Si Terry, dès son arrivée, se coule dans le moule bikini-téquila-drague, Anne et Michelle semblent plus complexes : moins attirées par les beuveries, moins sûres d’elles, un peu curieuses de la région alentour… Et, malgré les avertissements, elles acceptent qu’un père de famille rencontré au bar les emmène visiter les ruines de Chichén Itzâ.
C’est là que les choses se gâtent, on s’en doute, mais pas nécessairement comme on l’imagine, et Laura Kasischke va parvenir à surprendre son lecteur dans la seconde partie du récit.

Assez court, La couronne verte est entrecoupé de passages onirico-terrifiques qui ne servent pas à grand-chose, même le roman fini et leur signification comprise. Résultat, une lecture agréable car le style est le métier de Laura Kasischke sont toujours là, mais l’impression d’un texte trop mince qui aurait pu être réellement intéressant s’il avait été plus dense, plus fouillé.


La couronne verte, Laura Kasischke (Christian Bourgois, 240 pages, 2008 / Livre de Poche, 224 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy


samedi 27 août 2011

Mauvais genre - Naomi Alderman


James vit dans une belle villa au fond de la campagne italienne avec Mark – ami, amant, proche, employeur, on ne sait trop… Sur ce point, Mauvais genre s’ouvre sur une scène énigmatique, mettant en évidence la lassitude de James quant à leur style de vie, aux fêtes débridées, aux jeunes éphèbes qui se succèdent et autres humiliations. Lassitude qui lui fait, comme souvent, se remémorer sa jeunesse, sa rencontre avec Mark, le lien étrange qui les unit depuis : et ici, démarre véritablement le roman.

Issu d’un milieu populaire, James Stieff entame avec fierté ses études à Oxford. Il est rapidement confronté au pendant inévitable de l’élitisme : lui, si brillant dans son lycée moyen, se retrouve à la traîne et peine à se maintenir au niveau minimum exigé. D’autant qu’une blessure au genou vient le déstabiliser dès le premier semestre. Sans véritables amis et ne pouvant même plus pratiquer son exutoire favori, le footing, il se noie progressivement dans ses difficultés scolaires. Difficultés que ses parents attribuent sans hésiter au manque de travail et sanctionnent financièrement en lui coupant les vivres.
Assez solitaire, James finit par se lier avec Jessica et sa surprenante bande d’amis, Franny, Simon et Mark, le meneur. Ce dernier, un riche héritier fantasque et déconnecté de la réalité, propose rapidement à tout ce petit monde d’emménager dans son immense propriété quasi vide. Une étrange communauté se met alors en place, évidemment financée, mais aussi inspirée et impulsée, par Mark.

James et Jess s’installent rapidement dans une relation, assez dénuée de passion et même un peu molle. James en est l’élément le plus accroché ; et pourtant, un lien étrange se noue avec Mark – fascination discrète, dépendance financière, attirance pour l’homosexualité sans complexe de Mark, connivence quand la mère de ce dernier débarque… ?

Mauvais genre est bien entendu un roman d'apprentissage : premiers échecs, relations amoureuses, soirées étudiantes, discussions exaltées, examens bâclés ou potassés pendant des nuits, etc.
À maints égards, il m’a fait penser au formidable premier roman de Donna Tartt, Le Maître des illusions, en bien mois glauque, mais aussi moins réussi selon moi. En effet, Mauvais genre souffre de plusieurs défauts : le récit démarre lentement, s’enlise souvent, se concentre trop sur James.

Si sa lecture n’est pas indispensable, elle n’en est pas moins agréable et intéressante car Naomi Alderman évoque avec finesse un monde si souvent cité à titre d’exemple et en dépeint les faux-semblants, les aspects troubles et les contreparties douloureuses…


Mauvais genre, Naomi Alderman (L’Olivier, 384 pages, 2011)
Traduit de l’anglais par Hélène Papot

samedi 20 août 2011

C'est moi qui éteins les lumières - Zoyâ Pirzâd


C'est moi qui éteins les lumières est le premier roman (étrangement, traduit que maintenant en français) de Zoyâ Pirzâd, nouvelliste (Le goût âpre des kakis, Comme tous les après-midi, Un jour avant Pâques) et romancière (On s’y fera) iranienne. Ses livres provoquent chez moi des impressions mitigées : bien que très plaisante, leur lecture ne me convainc jamais totalement. Certes les textes sont pleins de finesse, les personnages contrastés et intéressants, les situations tantôt cocasses tantôt ardues, mais il manque un je-ne-sais-quoi à l’ensemble – une posture plus engagée ? des chutes plus tranchées ? davantage d’atypique ? Manque de profondeur ou limites qu’il faut s’imposer en Iran ? Je ne sais trop. Mais, quoi qu’il en soit, je suis toujours curieuse de lire les ouvrages de Zoyâ Pirzâd.

« C'est moi qui éteins les lumières ? » est la traditionnelle question que Clarisse et son mari Artosh se posent chaque soir. Clarisse mène une vie tranquille et ordonnée à Abadan : femme au foyer, ses journées sont rythmées par la préparation des repas, le goûter de ses trois enfants (les deux petites jumelles Arsineh et Armineh, leur frère adolescent Armen), le ménage bien réglé, et les visites quasi quotidiennes de sa mère et de sa sœur Alice, à la recherche d’un bon parti.
Son équilibre est perturbé quand emménagent de nouveaux voisins venus de Téhéran, les Simonian : la jeune Emilie apparemment si effacée, son père Emile, poète dans l’âme mais ingénieur comme tous les hommes de ce quartier réservé à la Société du pétrole , la vieille et minuscule Mme Simonian qui mène ces deux générations à la baguette…

Emilie est immédiatement adoptée par les jumelles comme nouvelle camarade de jeu, mais elle est bien moins sage qu’il n’y paraît et ferait faire n’importe quoi à Armen qu’elle a subjugué.
Quant à Mme Simonian, cette grande dame arménienne à la fortune lointaine, est insaisissable : autoritaire et pédante le plus souvent, elle est capable d’être douce et se confie même à Clarisse qu’elle a pris en affection – son grand amour contrarié, les difficultés avec son mari, son fils si lunaire et rêveur…
Et c’est vrai qu’Emile est à part : éminemment doux, passionné de littérature, avide d’échanges, attentionné, inconscient… il fait vaciller Clarisse dans ses certitudes et ses habitudes.
Tandis que la vie continue (Alice rencontre enfin quelqu’un, Armen grandit, etc.), Clarisse se surprend elle-même, s’interroge – sur son quotidien si monotone, sa paradoxale solitude, le manque de véritables échanges avec son mari, son appartenance à la communauté arménienne et les devoirs qui en découlent, son absence d’engagement politique… la vacuité de son existence, en résumé.

Comme à son habitude, Zoyâ Pirzâd dépeint ses personnages avec subtilité et traite ces nombreuses thématiques avec finesse, effleurant les choses, les évoquant, les suggérant… Et, comme d’habitude, cette discrétion passionne autant qu’elle lasse, voire exaspère.
C'est moi qui éteins les lumières n’en est pas moins un très beau roman, dans mon souvenir le premier de Zoyâ Pirzâd à se pencher autant sur la question arménienne en Iran.


C'est moi qui éteins les lumières, Zoyâ Pirzâd (Zulma, 352 pages, 2011)
Traduit du persan (Iran) par Christophe Bala



vendredi 19 août 2011

Quitter le monde - Douglas Kennedy


Les vacances d’été sont parfois l’occasion de lectures plus anodines : quelques polars un peu faciles, un best-seller plus ou moins sentimental, etc. – petits plaisirs coupables destinés à me vider l’esprit… Mais malheureusement, l’objectif n’est pas toujours atteint ! Voici donc un post plus anecdotique qu'autre chose.

À 13 ans, Jane Howard annonce lors d’un dîner familial qu’elle ne se mariera jamais et n’aura jamais d’enfant. Selon sa mère, cette phrase que prononce tant d’adolescent(e)s a scellé le sort du mariage de ses parents – ce qui est absurde, bien sûr : au pire, cela a été un déclencheur au départ inéluctable de son père) – et elle fera toute sa vie le reproche à sa fille.
Adolescente puis étudiante brillante, mais solitaire et pathologiquement peu sûre d’elle, Jane semble porter le poids du malheur tout au long de son existence et, effectivement, le pire lui arrive sans cesse. Au point d’être profondément exaspérant pour le lecteur (j’ai attendu désespérément qu’elle se secoue un peu!). On suit donc ce personnage poissard (il n’y a pas d’autre mot !), les rebondissements terribles, les tragédies à la chaîne qui lui font désirer « quitter le monde », et les quelques événements (un peu) heureux…

Un texte triste mais qui clame au final que l’on peut toujours rebondir (puisque même Jane y parvient !). Trop exagéré, trop systématique, le livre manque de crédibilité pour délivrer son message (sa morale ?).
Certes, un page turner efficace mais une lecture en définitive peu satisfaisante.
Vite lu, vite oublié. http://www.blogger.com/img/blank.gif
Pour ceux qui, comme moi, n’apprécient pas vraiment les livres de Douglas Kennedy (ou ne sont pas sûrs d’aimer), préférer La poursuite du bonheur ou le plus original Cul-de-sac


Quitter le monde, Douglas Kennedy (Belfond, 496 pages, 2009 / Pocket, 704 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Cohen



mercredi 17 août 2011

Le Goût des pépins de pomme - Katharina Hagena


Après l’ennuyeux – et assez mièvre – Quand souffle le vent du nord, voici comme promis le second volet des « surprenants best-sellers allemands de 2010 » ! Avec son titre à la nostalgie charmante, Le Goût des pépins de pomme a en effet rencontré un énorme succès lors de sa parution. Malheureusement, ici aussi, mais pour des raisons différentes, j’ai été passablement déçue…

À la mort de Bertha, pour la première fois depuis des années, ses trois filles (Inga, Harriet et Christa) et sa petite-fille, Iris, se retrouvent ensemble dans leur petit village natal du nord de l’Allemagne.
Ce début m’a fait espérer une sorte de huis clos familial, de confrontation/explication/rapprochement entre les quatre femmes, mais, loin de là, les retrouvailles sont vite traitées : en quelques pages, sont traitées les obsèques, l’ouverture du testament et la surprise d’Iris qui hérite de la maison familiale.
Bibliothécaire à Fribourg, citadine active, elle n’envisage pas de la garder au départ et s’y installe quelques jours dans l’idée de faire le tri, vider la vieille bâtisse et organiser la vente.
Mais une foule de souvenirs lui viennent – les siens mais surtout les récits rapportés par les un(e)s et les autres pour former au fil des décennies l’histoire familiale : l’enfance et l’adolescence, au début du XXe siècle, des deux sœurs complices Bertha et Anna, brutalement séparées par le décès de cette dernière ; le mariage de Bertha avec un homme taciturne ; leurs trois filles, Christa la patineuse (la mère d’Iris), la très belle et électrique (au sens propre) Inga, l’originale et rebelle Harriet revenue un jour sans crier gare, enceinte ; sa fille Rosemarie, cousine et compagne de jeu d’Iris, elle aussi disparue trop tôt… Et les secrets qui planent : les trois filles ont-elles bien le même père ? Bertha était-elle aussi soumise qu’il y paraissait ? L’ombre du nazisme planant encore sur le grand-père d’Iris est-elle justifiée ? Comment expliquer la mort de Rosemarie ?

Partant à la redécouverte les lieux de son enfance, Iris reconstitue peu à peu cette histoire, se remémore les légendes familiales, trouve certaines réponses et apprend bien entendu « le goût des pépins de pomme ».
Dans ce cheminement, elle est accompagnée par Max ; Max qu’elle a connu enfant sans véritablement l’apprécier et qu’elle redécouvre autrement aujourd’hui. Leur relation est d’ailleurs assez incompréhensible : outre une lassante attraction/répulsion, elle m’est apparue emprunte d’étrangeté et de demi-teintes – comme tout le roman.

Dans l’ensemble, Le Goût des pépins de pomme propose un récit intéressant, souvent tragique mais assez joli et riche d’anecdotes. Malgré tout, sa lecture m’a profondément ennuyée : le style de narration est trop frileux, allusif et chargé de circonvolutions, et surtout parfois totalement niais…
Dommage, donc, mais même conclusion : je ne dois pas avoir l’esprit assez romantique pour ce type de lectures…


Le Goût des pépins de pomme, Katharina Hagena (Anne Carrière, 270 pages, 2010 / Livre de Poche, 288 pages, 2011)
Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss