vendredi 18 juin 2010

Syngué Sabour - Atiq Rahimi


Le bandeau « Prix littéraire X ou Y » attire inévitablement mes yeux, mais je m’en méfie (pour avoir été souvent déçue, cf L’histoire de Chicago May). Et on m'a offert ce Goncourt 2008 qui avait l’air très prometteur…

Dans un pays jamais nommé (comme la plupart des personnages), mais que l’on devine être l’Afghanistan, agité par des extrémistes musulmans, une femme s’occupe de son mari tétraplégique. On comprend rapidement qu’il est l’un de ces « combattants de Dieu » et que c’est ainsi qu’il a été presque fatalement touché. L'homme a tout d’un cas désespéré : nourri par une sonde d’eau sucrée (il n’y a plus de médicaments disponibles), il ne manifeste aucune réaction.
Dans une ville en proie aux combats, bloquée chez elle par ce mari qui aurait « mieux fait de mourir », la femme tente de survivre, de s’occuper de ses deux filles, de préserver chacun et chacune des attaques extérieures.
On suit le fil de ses pensées face à ce corps apparemment sans vie : son histoire est ainsi retracée par bribes, au gré des souvenirs qui lui viennent. Toute la dureté de sa condition de femme dans un pays férocement misogyne, où la famille fait figure d’autorité supérieure, s’impose à nous : les mariages arrangés, les viols, la sexualité toujours honteuse, la peur (du mari, de la belle-mère, du père, etc.). Ce n’est pas un hasard si le roman est dédié à une Afghane morte sous les coups de son époux…
Syngué sabour, c’est la « pierre de patience » : selon un mythe perse que lui racontait son beau-père (homme éminemment intelligent, et donc considéré comme fou par presque tous), il s’agit « d'une pierre magique que l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances », tout ce que l’on n’ose révéler à personne… jusqu’au jour où la pierre éclate et nous délivre. Et là, dans sa solitude angoissée, son mari joue le rôle de cette pierre... jusqu'au dénouement.

J’ai eu du mal à entrer dans ce texte : au tout début, la femme est essentiellement dans la complainte et ne se laisse pas encore aller aux souvenirs – le texte est alors plus mélopée que récit. Mais très rapidement, l’écriture ciselée, sans fioritures mais d’une grande beauté, prend le dessus et le texte prend toute sa force. Au final, un roman exceptionnel, au sens propre : pas « formidable », pas « page turner », mais une lecture unique, infiniment particulière et au ressenti très fort. Une seule petite réserve : la fin, réelle ou métaphorique ?


Syngué Sabour, Atiq Rahimi (P.O.L., 154 pages, 2008)

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