jeudi 3 juin 2010
Comme Dieu le veut - Niccolò Ammaniti
Adorant la littérature italienne (en V.O. quand j’ai le courage), j’ai découvert Niccolò Ammaniti en m’intéressant aux « Cannibales » à la fin des années 90, un mouvement littéraire italien qui a alors suscité les polémiques. En fait de « mouvement », il s’agissait plus d’un assemblage hétéroclite de jeunes écrivains, baignant dans une culture du divertissement, de la consommation et de la violence, et animés de préoccupations (et de qualités) variées. Tous cherchaient à se réapproprier un langage loin de la langue de Dante et plus proche de la modernité et de leur génération, un langage souvent violent, parfois réinventé. Le « mouvement » a périclité mais a permis de faire connaître certains auteurs…
J’ai lu (et aimé) les précédents textes de Niccolò Ammaniti il y a déjà quelques temps : Branchies, Et je t’emmène, Je n’ai pas peur (peut-être celui que je préfère). C’était donc avec impatience que j’ai ouvert Comme Dieu le veut.
Cristiano Zena vit avec son père, Rino, dans un coin perdu de l’Italie berlusconienne. Surveillés par les services sociaux, ils forment un duo terriblement glauque : le père skinhead nazi, chômeur, totalement alcoolique, et son fils qui l’adore, sans repères, souvent laissé à lui-même… Ils vivent dans une maisonnette plus proche du taudis, qu’ils ne nettoient vaguement que pour la viste hebdomadaire de l’assistant social, Beppe - autre protagoniste de ce roman choral, ancien religieux torturé en proie à un désir nécessairement « coupable » pour la femme d’un ami.
Lors des brèves apparitions (souvent conflictuelles) de Cristiano au collège, on croise aussi Fabiana, adolescente en apparence si « populaire », qui joue à la femme fatale pour épater la galerie, mais est au final terriblement mal dans sa peau. Très banal, me direz-vous, mais Ammaniti sait dans un mélange savant de brusquerie et de finesse tracer le portrait de cette jeune fille et nous faire ressentir ses petites et grandes douleurs.
Quant à Rino, il est perpétuellement flanqué de ses deux amis atypiques : Quattro Formaggi (surnommé ainsi en hommage à sa pizza favorite), plus ou moins handicapé, à l’esprit embrumé et obsédé par les films pornos, et Danilo, alcoolique depuis peu, en rupture de ban et quitté par sa femme depuis la mort de leur fille. Tous trois préparent LE casse censé leur permettre de commencer une nouvelle vie…
On suit tous ces personnages évoluer tant bien que mal jusqu’à la nuit prévue pour le fameux braquage. Véritable évocation apocalyptique, cette nuit de déluge où le fleuve déborde et inonde tout sur son passage, voit basculer le destin de chacun d’entre eux. Et nous entraîne dans encore plus de noirceur.
Niccolò Ammaniti dépeint avec délectation ces personnages ignobles que l’on finit par trouver attachants, malgré leur racisme, leur bêtise, leur méchanceté, leur violence. Il nous montre surtout tout un pan de la société italienne, gangrénée par l’argent et les apparences, et où la religion est toujours à l’œuvre. Un tableau triste, cruel et amoral, mais très percutant : une écriture toujours aussi forte et un regard acéré.
Quelques bémols néanmoins… Le texte un peu trop kaléidoscopique (on aurait bien aimé s’attarder un peu plus sur certains personnages) traîne parfois en longueur. Quant à l’écriture d’Ammaniti, elle est toujours aussi forte et sert avec brio son propos – mais elle peut exaspérer car elle n’est pas dénuée d’une certaine auto-complaisance. Mais ce sont là les défauts des élèves trop doués !
Comme Dieu le veut, Niccolò Ammaniti (Grasset, 542 pages, 2008)
Traduit de l'italien par Myriem Bouzaher
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superbe critique!
RépondreSupprimeret superbe bouquin! même si mon préféré reste toujours "Ti prendo e ti porto via" :-)