jeudi 27 janvier 2011

Pierres de mémoire - Kate O’Riordan


Si ce n’est déjà fait, Kate O’Riordan est une romancière à découvrir : Le garçon dans la lune est une véritable petite merveille ; Un autre amour (j'en parle ici) un très beau livre, mais néanmoins légèrement en deçà ; et Pierres de mémoire un très bon cru, que je situerais entre les deux s’il fallait proposer un classement !

Ici, le personnage central est une Irlandaise d’une quarantaine d’années, Nell. Fameuse œnologue, elle vit à Paris depuis vingt ans et y mène une vie cadrée, à l’image de son appartement bien rangé et digne d’un magazine de décoration. Depuis un certain temps, elle est la maîtresse d'un homme marié, vigneron en province : situation qui lui convient parfaitement et lui permet de garder sa chère indépendance.
Mais un coup de fil d’Irlande vient perturber cet équilibre : sa fille Ali aurait des ennuis… Nell, qui n’est jamais retournée dans son pays d’origine depuis son départ, se voit alors contrainte de prendre le premier avion pour rejoindre la campagne irlandaise. Ali y tient avec son compagnon et sa fille le pub familial hérité de sa grand-mère.
On découvre rapidement une énorme fracture entre mère et fille : outre des différences évidentes de styles de vie, un conflit ancien oppose les deux femmes.
Néanmoins, malgré l’hostilité larvée d’Ali, et face à la situation sur place (que je vous laisse découvrir…), Nell choisit de rester : en premier lieu, pour résoudre ce problème et s’occuper de sa petite-fille, mais aussi – peut-être sans le savoir au départ – pour dépasser les vieilles rancœurs et les vieilles incompréhensions.
Le voile se lève peu à peu sur ces dernières et on reconstitue ainsi l’histoire tourmentée de Nell : la compréhension du passé venant dénouer le présent…

Comme d’habitude, Kate O’Riordan fait preuve d’une sensibilité étonnante et d’une formidable finesse psychologique : elle sait dépeindre ses personnages dans toute leur complexité, avec leurs faiblesses et leurs ambivalences ; enrichissant ainsi indéniablement la force de son récit. Certes, on frôle parfois le mélo et certains personnages secondaires sont un peu caricaturaux, mais l'ensemble n'en est pas moins très fort et offre une très belle lecture.


Pierres de mémoire, Kate O’Riordan (Joëlle Losfeld, 352 pages, 2009)
Traduit de l'anglais (Irlande) par Judith Roze

jeudi 20 janvier 2011

Le Cœur glacé - Almudena Grandes


Grande fresque familiale : l’expression peut faire redouter le pire, du type mélodrame plein de bons sentiments. Mais loin de là, il s’agit ici du meilleur ! Il est vraiment rare que le terme « chef-d’œuvre » s’impose à moi… Avec Le Cœur glacé, ce fut le cas très rapidement – et les dernières dizaines de pages, un peu moins convaincantes, ne peuvent suffire à me faire changer d’avis.

Cet ambitieux – et énorme – ouvrage retrace les itinéraires de deux familles espagnoles, les Carrión et les Fernandez, depuis le début du XXe siècle. Tout semble les opposer : milieu populaire rural contre grande bourgeoisie madrilène, opportunistes devenus franquistes contre farouchement républicains, enrichis sous la dictature contre expatriés en France ruinés…
Et pourtant, en 2005, suite à l’enterrement du doyen Julio Carrión, riche homme d’affaires, son fils Álvaro et la jeune Raquel Fernandez Perea font connaissance. De là, Almudena Grandes déroule leurs histoires, passées et présentes, et celles de leurs familles, révélant ainsi lentement leurs imbrications.

Le Cœur glacé est extrêmement bien construit : les séquences temporelles s’échelonnent entre 1905 et 2005, et les allers-retours nombreux sont finement agencés, de manière à éclairer chaque fois un nouveau pan des personnages et des histoires familiales. Les deux arbres généalogiques sont d’ailleurs bien utiles pour s’y retrouver.

Almudena Grandes a fait de nombreuses recherches pour ce projet et livre ainsi un texte formidablement documenté et, donc, éminemment intéressant sur le destin de l’Espagne et des Espagnols au XXe siècle. Il est évidemment question en détails de la guerre civile, mais pas seulement : de la situation au début du siècle, des espoirs républicains, de la division azul partie se battre aux côtés des Allemands, du franquisme, des camps de réfugiés en France, de l’installation des émigrants dans les années 1940, de la mort de Franco et de ses conséquences, du développement économique des années 1980, de la permanence d’une certaine classe réactionnaire, de la difficulté à être fils d’exilés en France… Cette thématique qui m’intéresse particulièrement est d’ailleurs très finement traitée, tout comme celle, corollaire, de l’éventuel retour. À l’image du roman qui est d’une grande sensibilité, chacun est dépeint subtilement, dans toutes ses aspérités.
Quant à l’écriture, elle parvient à être fluide et sophistiquée, tantôt plus simple, tantôt plus élégante.

Je pourrais me perde en considérations variées sans parvenir à dire tout le bien que je pense de ce roman… Pour résumer : j’aurais aimé qu’il soit interminable. Une lecture exceptionnelle.


Le Cœur glacé, Almudena Grandes (JC Lattès, 950 pages, 2009 / Livre de Poche, 2 tomes, 768 et 640 pages, 2010)
Traduit de l’espagnol par Marianne Millon

mardi 18 janvier 2011

La Reine des lectrices - Alan Bennett


Conte, farce, métaphore ? Encensé par les critiques et les libraires comme « réjouissant », ce petit livre met en scène la reine d’Angleterre découvrant soudainement la lecture et ses plaisirs.
Tombée par hasard sur un bibliobus dans la cour de Buckingham Palace, voulant flatter son conducteur, et ne pas révéler ses lacunes en matière de littérature au jeune Norman Seakins, simple valet qui adore lire, Elizabeth II repart donc avec un volume sous le bras. S’enclenche un changement progressif et exceptionnel : la reine voit différemment la vie, le monde et les gens qui l’entourent. Ses priorités sont bouleversées et les engagements royaux lui deviennent pesants… Elle recrute même Norman pour la conseiller et l'assister dans sa passion naissante.
Une nouvelle sensibilité, de nouvelles connaissances et une nouvelle manière de penser s’ouvrent alors à elle. Et ce n’est pas fait pour plaire aux intendants du palais, secrétaires et autres ministres !

Le texte est plutôt agréable à lire. Certains passages sont particulièrement savoureux – comme les remarques la personnalité des écrivains, bien moins agréables que leurs œuvres !
Mais au final, La Reine des lectrices m’a semblé fade et n’a pas éveillé grand-chose en moi. Une fable/farce parfaite pour égayer un voyage de quelques heures, mais pas davantage.


La Reine des lectrices, Alan Bennett (Denoël, 176 pages, 2009 / Folio, 124 pages, 2010)
Traduit de l’anglais par Pierre Ménard