vendredi 10 décembre 2010

Rosa candida - Audur Ava Ólafsdóttir


Cela doit faire une bonne semaine que j’ai terminé ce livre et je n’arrive toujours pas très bien à « évaluer » ce que j’en pense. De prime abord, je serais plutôt mitigée, surtout à cause de la candeur du texte (tant dans le ton que dans les propos). Et pourtant, dès qu’il s’agit d’expliciter un peu ou de raconter l’histoire, seules des images positives me viennent en tête… Je vais donc essayer de démêler tout ça !

Au tout début du roman, Arnljótur, 21 ans, et qui ne connaît du monde que son Islande natale, se prépare à quitter le foyer familial et à laisser derrière lui son père âgé et son frère jumeau autiste, Joseph, qui vit dans un foyer depuis le décès de leur mère. De cette femme énergique et bien plus jeune que son mari, Arnljótur a hérité la passion des fleurs, plus particulièrement des roses. Dans leur serre, tous deux les cultivaient avec soin, notamment la variété rarissime de Rosa candida à huit pétales.
C'est dans cette même serre qu'un soir il a rapidement mis enceinte Anna, l'amie d'un ami. Il laisse donc aussi derrière lui la petite Flóra Sól et Anna qu’il connaît en fait à peine. Il ne s’agit pas de l’homme qui abandonnerait lâchement sa famille ; mais plutôt d’un jeune garçon très innocent qui assume son rôle et aide financièrement, mais ne réalise pas très bien la réalité de cette enfant…
Car l’amour de la nature et l’envie de découvrir d’innombrables variétés de roses le conduisent malgré tout à partir sur le continent, avec pour but un vieux monastère riche d’une magnifique roseraie quasiment à l’abandon.

Sur sa longue route, le jeune homme ne rencontre que des personnages éminemment généreux, partageant avec lui la même naïveté, la même simplicité. Après un parcours qu’on pourrait qualifier d’initiatique, il arrive dans le petit village isolé que surplombe le monastère. Là, il s’installe rapidement dans une douce monotonie : la journée, il redonne vie à ce magnifique jardin oublié et, le soir, après un dîner savoureux à l’auberge, il regarde un film avec le très cinéphile frère Thomas.
Mais cette routine est perturbée quand débarquent Anna et Flóra Sól. Car Anna a besoin d’aide pour se consacrer à la rédaction de son mémoire. Arnljótur gère au mieux cette nouvelle situation et découvre jour après jour sa fille, le bonheur de sa paternité, la joie de cuisiner pour les deux femmes… Et étrangement, peu à peu, se construit une étrange et improbable vie de famille.

De jolies rencontres, des personnages intéressants, une histoire très poétique et curieusement sereine. Mais l’état de perpétuelle découverte du héros et son indéfectible candeur m’ont lassée, et même exaspérée. Au final, un charmant roman d’apprentissage : et, là où j’ai vu de la naïveté, certains ne verront certainement que douceur…


Rosa candida, Audur Ava Ólafsdóttir (Zulma, 336 pages, 2009)
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson

mardi 30 novembre 2010

Le cuisinier - Martin Suter


J’aime beaucoup Martin Suter (cf Small world), et le sujet de son dernier roman m’enthousiasmait vraiment. Par ses thématiques, il est proche du livre de Monica Ali, En cuisine : le monde de la restauration, les travailleurs émigrés, le « grand capital ». Mais la comparaison s’arrête là et Le cuisinier m’a davantage convaincue.

On suit le parcours de Maravan, jeune réfugié tamoul, simple plongeur dans un restaurant « nouvelle cuisine » de Zurich, alors qu’il était un chef prometteur au Sri Lanka. Entre les épluchages de légumes et les montagnes de vaisselle au Huyler, il se consacre à apprendre les subtilités de la cuisine moléculaire et teste de subtiles recettes, seul, chez lui.
Car ce n’est certainement pas à son travail qu’il a l’occasion d’exprimer ses talents : dans ce monde dur, très hiérarchisé, il ne peut pas même esquisser un conseil pour préparer un curry… Et c’est lors d’une de ces rebuffades que la très jolie serveuse Andrea, voulant faire bisquer ses collègues, s’invite chez lui pour découvrir ses talents de cuisiniers. Spécialiste des préparations ayurvédiques, apprises au pays auprès de sa tante Nangay, Maravan lui prépare alors un dîner très spécial…
Emballée par ses talents culinaires, Andrea, lui propose de s’associer pour créer Love Food et organiser des dîners aphrodisiaques à domicile.
Maravan, d'abord intimement dérangé par le principe, finit par accepter afin d’aider financièrement sa famille au Sri Lanka, et surtout sa tante, très malade.
L'entreprise démarre bien et commence à prospérer, mais ce succès subi provoque l’avidité de groupuscules de Tigres tamouls qui réclament de grosses donations à leur compatriote. Et, quand Love Food commence à collaborer avec une agence d'escort girls, les choses se compliquent encore.

Tout cela se passe à l’automne 2008, sur fond de crise financière - on n’échappe d’ailleurs pas au banquier suisse. Cet aspect du roman m’a vraiment déroutée : certes, on en voit la finalité dans les dernières pages, mais les longues digressions sur le système financier et les tractations entre hommes d’affaires sont passablement ennuyeuses.
Très longues aussi, les descriptions culinaires : les matières, les saveurs, les transformations que Maravan insuffle aux produits… Leur exotisme, les souvenirs que cela déclenche chez notre chef, m’ont souvent emportée et rappellent à quel point la cuisine fait voyager – dans le temps et l’espace. Mais trop techniques (cuisine moléculaire oblige), ces développements ont aussi parfois fini par m'exaspérer.

Quant au reste, Martin Suter est toujours aussi subtil pour dépeindre les univers et les personnages, leurs contradictions, leurs « psychologies ». Maravan, ce jeune homme qui oscille entre tradition et réalité du monde dans lequel il vit ; Andrea, si belle mais mais terriblement désœuvrée et insatisfaite ; Nangay, la tante sri-lankaise que l’on découvre en creux ; et tous les personnages secondaires si finement ciselés…
La construction varie sensiblement par rapport à ses précédents romans : de manières très différentes, il s’agissait néanmoins toujours de dénouer une intrigue, de trouver des réponses… Alors qu'ici, le lecteur est face à une intrigue qui se noue progressivement : pierre après pierre, l’auteur met en place les différents éléments - sans que l’on comprenne toujours très bien sur le moment – pour finir dans un dénouement assez spectaculaire.

Roman social, bien entendu, mais aussi roman plein de saveurs (sans mauvais jeu de mot), je le conseille en priorité aux fans de cuisine (il y a même quelques recettes phares de Maravan en fin de volume) et à tous les amateurs de Suter… Quand aux autres, et bien, même si ce roman est fort plaisant ce n’est peut-être pas le premier titre à découvrir de l'auteur.


Le cuisinier, Martin Suter (Christian Bourgois, 320 pages, 2010)
Traduit de l’allemand (Suisse) par Olivier Mannoni


D'autres livres de Martin Suter sur ce blog : Small world, Un ami parfait

vendredi 19 novembre 2010

Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet - Antoine Bello


Achille Dunot est un inconditionnel absolu d’Agatha Christie, et surtout de son fameux (et horripilant selon moi) Hercule Poirot, dont il admire les méthodes et le formidable esprit de déduction. Policier lui-même, il a été récemment mis à la retraite car il souffre d’amnésie antérograde à la suite d’un accident fâcheux – et significatif, puisque une massive anthologie de la littérature policière lui est tombée dessus. Depuis lors, sa mémoire ne forme plus de nouveaux souvenirs : sa journée s’« efface » pendant son sommeil et, chaque matin, sa femme doit lui rappeler son état.

Malgré tout, face à un cas particulièrement délicat, le chef de la police lui demande de participer à l’enquête sur la disparition d’Emilie Brunet et de son professeur de yoga (et amant). Cette jeune héritière de la région est mariée avec un éminent neurologue, Claude Brunet, à l’égo aussi imposant que le nombre de maîtresse.
L’intrigue a tout du classique du genre : la femme fortunée, le mari volage, la gouvernante aigrie, l’amant, etc. Claude Brunet est dès le départ le premier suspect mais les interrogatoires tournent vite en rond. En effet, lorsqu’il est allé déclarer la disparition de son épouse au commissariat, l’agent en service a étrangement perdu toute mesure et a tenté de lui extorquer des aveux par la force. Depuis le choc, le célèbre spécialiste de la mémoire souffrirait d’amnésie et ne se souviendrait plus du jour de la disparition de son épouse… C’est bien commode, et le brillantissime scientifique s’en délecte en laissant entendre tout et son contraire. Achille Dunot serait-il face au crime parfait ? Même lui semble peu à peu séduit par le charisme et l’intelligence hors du commun de son suspect.

Pour tenter de résoudre l’affaire, Achille décide de tenir un journal – qui constitue le livre que nous tenons entre les mains – où, avant de se coucher, il consigne consciencieusement les événements de la journée. Journée qui commence réellement de plus en plus tard puisqu’il doit commencer par prendre connaissance de son carnet dans son intégralité ! Rapidement, il essaie de biffer les phrases sans grand intérêt pour l’enquête, espérant ainsi diminuer un peu son temps de lecture quotidien. On se trouve alors face à quelques lignes, peu nombreuses, raturées : l’artifice n’apporte pas grand-chose à mon sens et l'idée de livre en train de se construire n'est pas si neuve.

Le récit de l’enquête est étayé par les références de notre ex-policier à « Agatha », et par ses discussions avec Brunet à qui il veut faire saisir tout le génie de cette dernière – et surtout celui de son détective fétiche. Comparaisons avec des personnages, parallèle entre la courte disparition de la romancière et celle d’Emilie Brunet, réflexions sur certains de ses romans… tout cela a fini par me lasser, et pourtant j’ai beaucoup de tendresse et de curiosité pour Agatha Christie, dont j’ai essayé de lire toute l’œuvre vers 12-13 ans (j'ai dû finir par me lasser avant de finir).

Antoine Bello a une formidable matière mais il bascule dans un exercice de style un peu décevant. La lecture est rapide, fluide, stimulante mais un tel hommage mériterait une véritable chute.
Un moment agréable donc, mais au final, j’ai surtout eu envie de me replonger dans d’autres livres : bien entendu des Agatha Christie, mais aussi l’ébouriffant Qui a tué Roger Ackroyd ? de Pierre Bayard et un précédent roman d’Antoine Bello, formidable, Les Falsificateurs


Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, Antoine Bello (Gallimard, 254 pages, 2010)

lundi 8 novembre 2010

Savoir perdre - David Trueba


De belles critiques, une couverture énigmatique, un titre plein de sens : j'avais hâte de découvrir cet opus de la rentrée 2010. Savoir perdre fait partie de ces romans qu’on continue à lire en marchant et qu'on aimerait encore plus long pour repousser le moment de le terminer…
Quatre protagonistes, quatre perspectives, se croisent et tissent ce récit à plusieurs voix.

Sylvia est une adolescente comme tant d’autres : complexée, empêtrée dans ses envies – tantôt enfantines, tantôt si mâtures –, elle cherche sa place… Au milieu de ses parents qui viennent de divorcer, auprès de son père chez qui elle est restée vivre par loyauté, avec son amie Mai si « libérée » et égocentrique, dans les bras réconfortants de sa grand-mère Aurora, ou dans ceux de premiers flirts maladroits… Elle a seize ans, les malaises et les bonheurs de son âge, et voudrait grandir plus vite – trop vite très certainement – pour s’abstraire de cet univers étriqué.

Lorenzo, le père, récemment quitté par son épouse Pilar – lassée de la monotonie de leur couple, de la fadeur et du manque d'envies de son mari – tente de se remettre en selle. Ruiné par son associé et soi-disant ami Paco, il cherche désespérément un emploi et finit par se lancer dans un partenariat hasardeux avec Wilson, un Équatorien ingénieux fraîchement émigré. Lorenzo est tout autant démuni dans sa vie personnelle – le néant depuis la séparation – et comble ses manques en se touchant avec une vieille poupée Barbie…! Il met tous ses espoirs dans sa rencontre avec Daniela, jeune sans papier gardant le bébé des voisins, et refuse de voir leurs profondes différences.

Quant à Leandro, le père de Lorenzo, professeur de piano à la retraite, il disjoncte quand sa femme adorée, Aurora, tombe dans la baignoire et se retrouve à l’hôpital. Lui qui n’a jamais trompé son épouse, se retrouve dans une maison de passes et s’entiche follement d’une jeune prostituée – même pas agréable. Il tente vainement de se raisonner mais dilapide leurs économies dans ces visites tariffées au goût amer. Comme s'il cherchait à rattraper leur jeunesse perdue et à oublier la santé déclinante d'Aurora.

Et enfin, Ariel, jeune footballeur argentin, débarque en Espagne après avoir été acheté une fortune par un club madrilène. Sans sa famille, ses amis, ni son entraîneur de toujours, il est perdu dans ce nouvel univers, et l’hostilité des supporters ne l’aide pas se sentir plus à l’aise. Loin du stéréotype du sportif décérébré, sa nouvelle vie de paillettes et d’artifices ne lui suffit pas.

David Trueba nous offre des profils très différents, petites gens et célébrités, expatriés et locaux, jeunes et vieux. Ces histoires en apparence très banales peignent en réalité des portraits subtils et lucides : les espoirs de chacun, les arrangements avec la réalité, les bassesses et les failles, mais aussi les moments de félicité… Et surtout, ce que l’on cache, aux autres et à soi-même.
La quatrième de couverture nous explicite le titre dès les premières lignes : tous « vont tour à tour éprouver le désir de gagner et la douleur de perdre ». On imagine alors un roman pessimiste et sombre, mais il n’en est rien car, étrangement, une vague d’optimisme se dégage de cette lecture, l’idée que beaucoup de choses sont faisables au final et qu’il est possible de se remettre de tout…

La structure en roman choral, le rythme soutenu du récit et son caractère éminemment visuel viennent nous rappeler que l’auteur est aussi scénariste et réalisateur. Et c’est tant mieux car on ne s’ennuie pas un seul instant. Et le propos ne perd pas pour autant en épaisseur : le regard sur notre société est acéré, les réflexions sous-jacentes sont fines.

Sans hésiter, un de mes plus grands plaisirs de lecture en cette rentrée littéraire 2010. À découvrir absolument !


Savoir perdre, David Trueba (Flammarion, 448 pages, 2010)
Traduit de l'espagnol (Espagne) par Anne Plantagenet


jeudi 4 novembre 2010

Un autre amour - Kate O’Riordan


J’ai adoré Le garçon dans la lune, grand succès critique et librairie en 2008. C’est donc avec empressement que je me suis plongée dans Un autre amour qui vient de paraître (mais publié en 2005 au Royaume-Uni).
De la même façon, il s’agit d’un portrait subtil de femme, où tout – les personnages, les situations, les enjeux – semble assez simple au début, pour se densifier et se compliquer au fil du texte.

Connie Wilson rentre seule d’un week-end passé à Rome avec son mari, Matt. Pour leurs trois fils, pour le cabinet dentiste de son époux, et pour Mary – l’amie de vingt ans qui s’est fondue dans leur clan et semble parfois vivre par procuration –, elle invente des excuses de moins en moins crédibles à mesure que l’absence de Matt se prolonge. Tombé « par hasard » sur son grand amour de jeunesse, Greta, en détresse totale, il a en fait décidé de rester à Rome pour tenter de l’aider. Le couple Wilson, en théorie harmonieux et heureux, est ébranlé et Connie totalement désemparée dans leur maison londonienne.

En alternant les points de vue de Connie, Matt et Mary, Kate O'Riordan complexifie progressivement cette apparemment banale histoire d’adultère et les rôles de chacun.
Connie n’est pas simplement l’épouse délaissée, elle est aussi la jeune adolescente qui observait et photographiait le couple fascinant de Greta et Matt, et enviait terriblement la superbe fille aux « jeans américains ». Si Connie a toujours rêvé de Matt, lui ne l’a vraiment « vue » qu’après le départ soudain et inexpliqué de sa petite amie. Et, vingt ans après, tomber sur cette femme qu’il n’a peut-être jamais cessé d’aimer, l’incarnation-même de la vie qu’il aurait pu vivre, le fait vaciller dans tout son être – homme droit, bon, époux et père aimant.
Quant à Greta, elle n’est pas qu’une mangeuse d’hommes : mère éplorée et pétrie de culpabilité après le décès de son petit garçon, elle se débat dans un désespoir abyssal, ne cédant pas à la tentation du suicide uniquement par égard pour sa fille. Elle jette un regard froid sur la vie qu’elle a menée, sans grand intérêt au final, et s’efforce par tous les moyens ne pas devenir la maîtresse pour être enfin « une femme bien »…
Au milieu de tout cela, les trois garçons si différents – et Mary qui fait comme partie de la famille – comprennent que des événements qui les dépassent se nouent, et chacun joue sa part dans cet essai pour maintenir le cocon familial.

Le roman se déploie au fil des pages : les sentiments sont davantage imbriqués, les protagonistes de plus en plus perdus, voire désespérés, et le lecteur censeur au départ se met à les comprendre tour à tour. Il a quelque chose qu’on pourrait qualifier de thriller sentimental dans ce roman : on attend avec angoisse le dénouement, qui ne pourra qu’être malheureux, au moins pour une partie des protagonistes. Et pourtant…

Impressionnant à bien des niveaux – psychologie des personnages, construction narrative –, Un autre amour m’est apparu néanmoins quelque peu faible : peut-être parce que Le garçon dans la lune m’a laissé un souvenir magistral qui souffre difficilement la comparaison, peut-être aussi car l’idée du grand amour qui a tout d’une fatalité me déplaît assez…
Une très belle lecture quoi qu'il en soit.


Un autre amour, Kate O’Riordan (Joëlle Losfeld, 288 pages, 2010)
Traduit de l'anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paolini


De Kate O'Riordan, voir aussi sur le blog : Pierres de mémoire

mardi 2 novembre 2010

La Théorie des cordes - José Carlos Somoza


La quatrième de couverture m’a plusieurs fois fait reposer La Théorie des cordes : la « fine fleur de la physique mondiale isolée sur un atoll de l’océan Indien » ne m’attirait pas du tout… Mais on me l'avait conseillé avec tant d'enthousiasme que j’ai fini par me lancer…

Au centre du roman, la brillantissime et très belle Elisa Robledo, professeur de physique théorique dans une petite université de Madrid, un parcours professionnel loin d'être à la hauteur de ses capacités exceptionnelles. Enterrée dans ce poste obscur, toujours seule, elle mène une vie d’une terrifiante monotonie et un terrible poids semble peser sur ses épaules. Mais cet ennui latent vole en éclat quand Elisa tombe sur un article qui la terrifie.

Elle se remémore alors les événements incroyables survenus dix ans auparavant, en 2006, alors que jeune étudiante suivant le séminaire du professeur Blanes, elle avait été recrutée pour intégrer son équipe d’élite et travailler sur la fameuse « théorie des cordes » qui permettrait d’« ouvrir le temps ». L’idée ? Il est impossible de voyager dans le temps mais, grâce à la « théorie du Séquoia », on pourrait obtenir des images du passé. Procédé encore bancal, et surtout dont on ne mesure pas « l’Impact », le choc psychologique à court et moyen terme – et ses conséquences – encouru par celui qui visionne de telles images aberrantes : la crucifixion du Christ pour ne citer qu’un exemple.
Un terrible drame, sur lequel se lève lentement le voile, force les financiers de ces improbables expériences à interrompre le programme. L’équipe est dispersée et chacun de ses membres doit s’engager à ne jamais contacter l’un des autres participants.

Ce qu’a appris Elisa par le journal, c’est la mort douteuse de l’un d’eux. Rapidement, pour briser la spirale qui les supprime un à un, elle s’efforce de souvenir de tout, même du plus enfoui, pour comprendre ce qui s’est réellement produit sur cette île perdue, et comprendre aussi les rêves étranges qui la torturent depuis… Aidée de Victor Lopera, son collègue et ancien condisciple à l’université, elle se lance dès lors dans une incroyable enquête, nous révélant lentement ce qu’il s’est passé il y a dix ans.

Surtout, ne pas s’effrayer devant l’aspect scientifique du roman : certes, les développements à ce sujet son parfois denses, mais l’écriture de José Carlos Somoza les rend tout à fait compréhensibles.
Quelques petits regrets néanmoins : des personnages souvent caricaturaux (on attend davantage de cet auteur ancien psychanalyste) ; et un « tic » stylistique horripilant, l'usage de « cliffhangers » pour clore certains paragraphes et insister lourdement sur le suspense - tendance à l’insistance qui se retrouve parfois dans une écriture légèrement trop appuyée, comme recherchant l'effet. On oublie toutefois assez rapidement ces bémols.

Au final, un thriller scientifique aux tendances quasi paranormales très prenant et efficace. Et une belle réflexion sur les limites de la science et de la toute-puissance de l'homme.


La Théorie des cordes, José Carlos Somoza (Actes Sud, 430 pages, 2007 / Babel, 768 pages, 2008)
Traduit de l'espagnol (Cuba) par Marianne Millon


lundi 25 octobre 2010

En cuisine - Monica Ali


J’avais adoré – comme beaucoup, puisqu’il a été finaliste du Man Booker Prize 2003 – le premier roman de Monica Ali, Sept mers et treize rivières, et j’attendais avec impatience le second. Quand j’en ai lu le résumé, j’ai été plus qu’emballée : le monde de la cuisine intriguant en lui-même, les promesses londoniennes de melting-pot, le héros tellement anglais…

Chef du restaurant de l’Imperial, un grand hôtel londonien, Gabriel Lighfoot ne maîtrise plus grand chose de sa propre vie. Et c’est la mort mystérieuse d’un des employés dans les sous-sols de l’Imperial qui lui en fait prendre conscience.
Professionnellement d’abord, Gabe s’aperçoit qu’il ne sait rien de ce qui passe dans les cuisines qu’il est censé diriger. Il ne connaît véritablement aucun de ses équipiers : immigrés de cultures et de pays différents, la plupart sont là par défaut – pas par passion comme ce fut son cas il y a une quinzaine d’années –, parfois pour longtemps mais plus souvent tels des éléments interchangeables envoyés par des agences d’intérim se chargeant de tout. Derrière les frigos, Gabriel découvre de sinistres secrets – passés terrifiants, quotidiens douloureux, chantages, trafics, prostitution… C’est tout un monde, assez glauque, qui lui apparaît.
Il tente de nouer de nouvelles relations avec certains de ses employés mais aucun ne comprend cet intérêt soudain – a-t-il quelque chose à leur reprocher ? – et chacun fait attention à respecter la hiérarchie. Quant au restaurant qu’il est en train de monter, Gabriel doute de plus en plus de ses deux partenaires qui chaque jour le dépossèdent davantage de la substance, du « concept », de ce lieu censé être le sien.
Personnellement ? Les choses ne sont pas plus simples. Après avoir ignoré des dizaines de messages, Gabriel apprend avec effarement que son père est très gravement malade et que sa grand-mère quasi sénile va devoir être placée… Il essaie alors en quelques mois de recoller ses bribes de souvenirs avec ce que chacun lui raconte, et de mettre ainsi à jour la réalité de son enfance et, surtout, de ses parents.
Quant à sa vie amoureuse, sa relation en apparence harmonieuse avec Charlie est mise à mal par l’irruption de Lena, jeune fille de l’Est, désagréable et fuyante. C’est ce personnage et son lien improbable avec Gabriel qui m’ont fait « décrocher » en quelque sorte du roman : je n’ai pas réussi à y croire un instant et tout le reste m’est apparu bien trop artificiel, trop « fabriqué ».

Au risque de filer la métaphore un peu lourdement (mais je ne sais pas comment mieux l’exprimer), tous les ingrédients y étaient mais trop abondants, trop rapidement effleurés. Les digressions sont nombreuses, les descriptions souvent trop longues, les enchaînements abrupts…
En cuisine, c’est donc toute la vie de Gabriel qui se fissure, bout par bout, et le lecteur en prend connaissance en même temps que lui. C’est peut-être aussi pour cela que je me suis sentie totalement perdue dans ce roman : le récit est à l’image de ce héros qui ne sait plus où il en est, remet en question toutes ces certitudes, et découvre des facettes méconnues de sa propre réalité.
Bref, malgré de nombreuses qualités – en premier lieu, des personnages très riches et le projet d’évoquer les difficultés des migrants–, ça n’a pas fonctionné, je suis restée irrémédiablement en dehors de ce livre.


Lu dans le cadre de Masse critique. Merci aux éditions Belfond et à Babelio.

En cuisine, Monica Ali (Belfond, 640 pages, 2010)
Traduit de l'anglais par Isabelle Maillet


Critiques et infos sur Babelio.com



vendredi 22 octobre 2010

Le dernier des Savage - Jay McInerney


J’ai découvert Jay McInerney il y a une dizaine d’années, avec Trente ans et des poussières (1993) : roman générationnel du New York culturo-intellectuel de la fin des années quatre-vingts (que le héros travaille dans l’édition n’est certainement pas étranger à mon goût pour ce livre). Son recueil de nouvelles La fin de tout (2003) m'avait heureusement séduite, moi qui affectionne si peu ce genre littéraire. Je les ai relus et m'en suis certainement faits une impression plus mûre (mais toujours positive!) quand, en 2007, a paru La Belle vie, suite un peu faible de Trente ans et des poussières .
Il y a une évidente parenté avec Brest Easton Ellis – ce n’est pas pour rien qu’ils sont amis –, toutefois McInerney est à mon sens moins gratuitement trash, plus subtil, mais certainement aussi moins corrosif et dérangeant.
On m’avait souvent parlé de ce roman de 1997 comme d’un grand livre, il était temps de ma faire mon idée…

Le dernier des Savage, c’est Will, jeune sudiste rebelle et fortuné, dont le plus proche ami depuis l’université, Patrick Keane, tente de raconter le parcours. Né dans une famille du Sud profond, Will Savage a été élevé dans l’opulence, les coutumes pseudo aristocratiques et le conservatisme. Mais lui refuse cet univers, ces codes d’un autre temps, et vit au rythme de la contre-culture, des idées nouvelles et des modes. Vite accro aux drogues et à l’alcool, il se consacre à la musique – noire surtout –, lutte contre la ségrégation, fréquente les milieux interlopes et disparaît pendant des jours à la façon d’un Jim Morrison…
Patrick est tout l’inverse : issu d’un milieu modeste, son entrée à Yale est la promesse d'un avenir qu'il pense radieux, d’une vie bien au-dessus de celle de ses parents. Il fait tout en ce sens et s'évertue à coller au plus près des codes. Son rapport à Will n’est pas dénué d’ambigüités : à la fois fasciné par ce personnage un peu fou et par Savage père qui représente toute l’assise sociale vers laquelle il espère tendre un jour ; envieux des conquêtes féminines de Will mais peut-être en peu amoureux ; jaloux de sa liberté effrénée et exaspéré par ses inconséquences…
Leur attachement n’en reste pas moins fort et parvient à traverser les années et c’est le portrait de ces décennies troubles qui se dessine peu à peu, davantage encore que celui d’une étrange amitié.

Un roman bien plus rude qu’il n’y paraît au départ, où Jay McInerney se montre éminemment critique vis-à-vis de la société américaine, de son racisme, de ses faux-semblants et de ses clivages de tous ordres. Pour l'instant, le meilleur que j'ai pu lire de lui.


Le dernier des Savage, Jay McInerney (L’Olivier, 408 pages, 1997 / Points, 416 pages, 1999)
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet


mercredi 13 octobre 2010

La nuit de l’infamie - Michael Cox


Un titre sans grand intérêt, une parution poche dans la collection « thriller historique », et une couverture racoleuse ? Bref, si je n’avais pas lu un article extrêmement élogieux sur ce livre, je ne l’aurais certainement jamais ouvert ! Et j’aurais manqué un très bon moment de lecture…

La « confession » d’Edward Glyver – ou plutôt le récit de sa vie – débute par un meurtre, dans une ruelle de Londres, en 1854. Cette froide exécution est censée être la répétition de celle de son « ennemi intime », Phoebus Daunt : acte de vengeance ultime et aboutissement d’une minutieuse enquête qui a révélé ce qui entremêlait leurs deux destins.
Edward entreprend alors de reconstituer sur le papier cette recherche et sa propre histoire, à la lumière de ses découvertes progressives. Et Phoebus est toujours là, parfois dans son sillage, parfois le précédant… La nuit de l’infamie est constituée de cette confession, annotée et enrichie de témoignages par "l'éditeur.

De nombreuses années auparavant, le hasard a conduit Edward à découvrir de troublants éléments en lien avec sa naissance. Son nom et son existence ne seraient ainsi que mensonge, et c’est de toute une destinée qu’il aurait été spolié – d’une grande lignée et d’une formidable promesse d’avenir et de réussite.
Il tente alors de dénouer les fils de cet imbroglio pour établir et prouver sa véritable identité. Son récit rejoint peu à peu le « présent » du meurtre de 1854 et de la rédaction de sa confession. On découvre alors en même temps qu’Edward la suite des événements.

La construction en « fausse confession » n’est pas inintéressante : elle nous plonge dans le mental, parfois trouble, d’Edward, dans ses obsessions ; on ne peut alors qu’adhérer à son point de vue de persécuté – et les quelques « témoignages » en fin de volume vont en ce sens.
L'architecture de l'ouvrage est remarquable, d'autant plus pour un premier roman : les longues incursions dans le passé, l'insertion de documents d'archives et de lettres dans la confession, la montée du suspense savamment mise en scène, etc. Seules les notes en bas de page, souvent superflues, m’ont gênée au départ mais j'ai fini par m’habituer à cet artifice.

Le lecteur est ainsi promené de Londres à la splendide demeure d’Evenwood, en passant par Sandchurch et Cambridge. On voyage au début du XIXe siècle entre la campagne anglaise et la plus grande ville au monde ; entre la haute société, ses petits arrangements et les bas-fonds nauséabonds ; entre des amitiés sincères et de terribles duplicités…
La nuit de l’infamie respecte tous les codes du roman victorien à suspense : le style qui nous plonge à l’époque de Dickens, les rebondissements inépuisables, le héros maudit, les personnages hauts en couleurs… Mais on ne tombe pas pour autant dans la caricature : et l’intrigue pourrait très bien, par ce qu’elle révèle de la nature humaine, se dérouler de nos jours.
Alors oui, il faut quelques dizaines de pages pour entrer dans cet univers, les coïncidences sont parfois énormes, les rebondissements usants, la déveine d’Edward exaspérante… Mais rien de tout cela ne fait le poids face à au livre passionnant qui se construit page à page et happe le lecteur pour ne plus le lâcher et lui faire regretter la dernière page.
À découvrir donc.


La nuit de l’infamie, Michael Cox (Seuil, 634 pages, 2007 / Points, 802 pages, 2008)
Traduit de l'anglais par Claude Demanuelli


mercredi 6 octobre 2010

Cul-de-sac - Douglas Kennedy


Ce premier roman de Douglas Kennedy est souvent cité par les amateurs de polar : ce qui m’a toujours interpelée étant donné ses livres ultérieurs… Il faut avouer que l’étiquette « best-seller » (surtout sentimental) me rebute plus qu’elle ne m’attire. Et pourtant, j'en ai lu quelques uns : et, si certains étaient bien trop sirupeux à mon goût, de Kennedy, j’ai apprécié La poursuite du bonheur. La curiosité a donc fini par l’emporter et je me suis lancée dans Cul-de-sac

Tombé par hasard sur une vieille carte de l’Australie chez un bouquiniste, Nick, un journaliste américain, décide sur un coup de tête de tout plaquer pour découvrir cet immense pays. Quarantenaire sans grande ambition ni carrière, rien ne le retient vraiment et il s'envole rapidement pour Darwin.
Tout démarre comme un road-trip alcoolisé, nous entraînant de bar en bar dans la chaleur suffocante de cette ville-frontière.
Cul-de-sac a d’abord du mal à trouver son rythme et on s’ennuie un peu pendant que Nick tente de s’acclimater à ce nouvel univers et cherche un moyen de locomotion.
Il dégote enfin un vieux combi Volkswagen et entreprend sa traversée du nord au sud, à travers des milliers de kilomètres de déserts interminables et quasiment vides de toute âme humaine.
Sauf que, grande leçon du roman : ne pas rouler la nuit dans le désert ! Ou c'est prend le risque de tomber sur un kangourou (k'rou avec l'accent), et c’est ainsi que Nick rencontre Angie avec qui il continue sa route…
Et là, je ne peux décemment pas vous en raconter plus ! Car c’est enlever tout le sel de ce roman que de gâcher l’effet de surprise.

Douglas Kennedy est davantage en verve que dans les autres textes que j’ai pu lire de lui – moins bridé et consensuel peut-être. Pour mémoire, j'avais en main la première traduction de The Dead Heart : la nouvelle, sous le titre Piège nuptial, apporte-t-elle une lecture réellement différente ?
En tout cas, Cul-de-sac est agréable à lire, souvent drôle, presque toujours absurde, et parfois triste. Un polar, en revanche, ce serait beaucoup dire, même s’il y a une forme de suspense.
Une découverte intéressante donc, et une lecture qui fut parfaite sur la plage !


Cul-de-sac, Douglas Kennedy (Folio, 290 pages, 2006)
Traduit du l’anglais (États-Unis) par Catherine Cheval
Cette édition est épuisée mais une nouvelle traduction (par Bernard Cohen) a paru sous le titre Piège nuptial (Belfond, 272 pages, 2008 / Pocket, 256 pages, 2009)


vendredi 24 septembre 2010

Testament à l’anglaise - Jonathan Coe


J’ai lu Testament à l’anglaise lors de sa parution en poche il y a une dizaine d’années. Et il faut avouer que je ne me rappelais quasiment pas du contenu du livre, juste de l’impression qu’il m’avait laissé : extrêmement bonne. Voir une amie plongée dedans m’a donné envie de le redécouvrir. Je relis assez rarement un texte : il me faut beaucoup d’années et un grand livre…
Pour mémoire, prix Femina étranger en 1995, ce quatrième roman est celui qui a réellement fait connaître Jonathan Coe.

C’est l’histoire d’une « illustre » famille anglaise, les Winshaw, reconstituée selon différents points de vue et par différents procédés : coupures de presse, journal intime et surtout écrits de Michael Owen, romancier méconnu engagé pour ce faire par la vieille Tabitha Winshaw.
Tabitha, considérée comme folle car persuadée depuis quarante ans que son frère Lawrence a commandité la mort de son frère adoré Godfrey, est enfermée à l’asile depuis tout ce temps. Elle attend que cette chronique mette enfin au jour les faits et lève le voile sur sa terrible famille.
Pourquoi terrible ? Car les Winshaw sont tous – ou presque – d’odieux personnages : aristocrates méprisants, cupides, opportunistes, menteurs, égoïstes… Et ils occupent les postes-clés des pouvoirs économique, politique, médiatique, artistique, et même agro-alimentaire ! On suit ainsi le destinée de cette dynastie de puissants des années quarante à la fin des années quatre-vingts, et celle de l'Angleterre qu'ils contribuent à façonner.

En creux, c’est aussi l’histoire de Michael Owen qui se dessine : modeste romancier un temps prometteur, dépressif, ce jeune homme sans âge vit reclus dans son appartement londonien, et visionne en boucle un vieux film des années cinquante. Certains événements l’amènent à reprendre l’écriture de cette biographie familiale (qui lui fournit une rente substantielle depuis des années) : et les rebondissements vont se multiplier, tout comme les coïncidences et révélations en tout genre… Quoique fort improbables, ces péripéties fonctionnent sans problème avec le style de cette satire pleine d’ironie.

Plus qu’une enquête, c’est une peinture acerbe de l’establishment, une formidable démonstration de l’humour britannique, un livre éminemment politique par ce qu’il donne à voir de la société – la corruption, l’hypocrisie, les tractations sordides…
La construction apporte beaucoup à ce récit : les perspectives successives(celles des Winshaw mais aussi du mari de l'une, d'un concurrent, d'un partenaire professionnel, etc.) et les différents genres utilisés enrichissent énormément le "travail" et le plaisir du lecteur qui doit assembler ce puzzle pour parvenir à une image d'ensemble.

C’était donc un véritable bonheur de relire ce formidable roman !


Testament à l’anglaise, Jonathan Coe (Gallimard, 504 pages, 1995 / Folio, 688 pages, 1997)
Traduit de l’anglais par Jean Pavans


D'autres livres de Jonathan Coe sur ce blog : La maison du sommeil, Bienvenue au club & Le cercle fermé

lundi 20 septembre 2010

Bonbon Palace - Elif Shafak


La bâtarde d’Istanbul m’avait laissée sur des impressions mitigées : riche peinture d’Istanbul et de la Turquie, cette découverte des origines par la jeune Asya me plaisait infiniment par le projet et le propos mais le style et le rythme de ce texte ne m’avaient pas vraiment emportée. Il s’agissait du second roman écrit en anglais par la romancière Elif Shafak (2006). Après son large succès, les éditions Phébus ont choisi de publier Bonbon Palace (écrit celui-ci en turc, publié en 2002 et rapidement best-seller en Turquie).
Le résumé – roman choral sur les habitants d’un immeuble au Moyen-Orient, région qui m’intéresse tout particulièrement – m’a évidemment fait penser à L’Immeuble Yacoubian de l’Égyptien Alaa El-Aswany (que j'ai adoré). J’ai donc surmonté mes quelques réticences pour me lancer dans Bonbon Palace...

L’histoire de ce vieil immeuble stambouliote – qui a connu un temps de splendeur mais est aujourd’hui décrépi et envahi par les ordures – et de ses habitants a tous les ingrédients du grand roman.
Les personnages sont savoureux, parfois truculents, souvent attendrissants : les coiffeurs jumeaux, sorte de Dupont et Dupond tragiques ; la « Maîtresse bleue » sujette au vague à l’âme ; l’hystérique « Hygiène » Tijen ; la tyrannique Meryem ; le vieil Hadji Hadji, conteur contrarié ; la triste Nadja aux rêves brisés ; la petite Su tellement perspicace ; le narrateur, entomologiste divorcé amateur de femmes…
Tous nous donnent à voir un portrait kaléidoscopique d’Istanbul et de la Turquie d’aujourd’hui, loin des clichés et des idées reçues. Une mosaïque de la société, avec ses contradictions, ses tensions et ses espoirs.

Malheureusement, les longues descriptions, le style assez monocorde, les analyses interminables de la psychologie des personnages et les épisodes de plus en plus monotones ont rendu ma lecture poussive.
Comme toujours lorsque j’espérais aimer un livre, je cherche où le bât a pu blesser : je crois tout simplement que j’aime les narrations plus denses et que seuls les très grands écrivains peuvent se permettre les longues descriptions et analyses sans être ennuyeux ou pontifiants...

Une recontre entre le l'auteur et son lecteur qui ne s'est pas faite... Mais une peinture sociétale et culturelle qui n'en est pas moins intéressante.


Bonbon Palace, Elif Shafak (Phébus, 464 pages, 2008 / 10/18, 576 pages, 2010)
Traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy


jeudi 9 septembre 2010

Les années - Annie Ernaux


Dans Les années, Annie Ernaux continue son entreprise de création autour de sa propre vie (je ne veux pas parler ici d'autofiction, car elle ne prétend jamais à la fiction), et entreprend de balayer l’ensemble des années vécues. De l’après-guerre à nos jours, en partant de photos éparses, elle évoque son enfance, son adolescence, les différents tournants de l’âge adulte – et les innombrables images, odeurs et impressions qui y sont liées.
J’avais apprécié Une femme (évoquant sa mère) et La place (son père) : ces courtes évocations m'avaient certainement d'autant plus marquées que, étant alors adolescente, j'avais presque « découvert » le sain et nécessaire recul sur ses parents que l'on pouvait avoir avec l'âge. Le projet bien plus ample de ce récit m'intéressait et m'enthousiasmait fortement. Ma lecture a été malheureusement très décevante : problèmes avec l’œuvre en elle-même ? ou déficit de compréhension dû à l’écart générationnel ?

Pour commencer, ma lecture a été perturbé par l’emploi du pronom indéfini « on », destiné probablement à inclure le lecteur dans le récit, à dépersonnaliser cette plongée dans l'intime. Cette construction ne fonctionne pas à mon sens et devient même exaspérante car bien trop pesante et artificielle. Certes, il s’agit de raconter « ces » années et cette génération née pendant la guerre qui a raté mai 68, mais cela aurait été bien plus intéressant si Annie Ernaux avait assumé pleinement la dimension biographique sans chercher cette pseudo mise à distance et/ou généralisation. Et si tel n'était pas le but, je me contenterais de dire que je n'ai pas adhéré à ce choix stylistique !

L’aspect « petite et grande histoire » est clairement ce qui m’a incité à continuer ma lecture (car je dois avouer avoir souvent été tentée d’abandonner). En effet, le texte étant au final assez court – au vu du projet de retracer soixante ans de vie et d’époques –, il donne lieu à de longues énumérations de souvenirs, tantôt savoureux, attendrissants ou édifiants : le chocolat Cardon, l'apparition du Frigidaire, les collants à la place des bas, les premiers baisers, les événements historiques qui ne sont que décor…
Ces passages sont passionnants, surtout quand on est née au début des années 1980 comme moi ! Mais la description devient régulièrement liste interminable : parfois hypnotique, plus souvent catalogue.

Au final, le rythme m’a profondément dérangée, au mieux lassée, et j’ai fini ce livre en diagonale, à toute vitesse.
Je suis donc incapable de le conseiller mais, comme je l’évoquais au début de ce billet, peut-être est-ce une question d’âge ? Une lassitude face à cette accumulation de souvenirs et malheureusement de regrets ? Les nombreuses critiques élogieuses me font penser qu’il doit y avoir de cela...


Les années, Annie Ernaux (Gallimard, 256 pages, 2008 / Folio, 256 pages, 2010)

mardi 7 septembre 2010

Les liens du sang - Ceridwen Dovey


Ce premier roman avait été très remarqué lors de sa parution mais, chaque fois que je prenais le livre en librairie, la quatrième de couverture me rebutait : peur d’une « banale » histoire de dictateur et peut-être aussi d’un texte trop austère… Sa parution en poche m’a redonné l’occasion de le lire et je ne le regrette pas !

Nous sommes dans une capitale jamais nommée : archétype d’une ville étouffante et étouffée, proche de la mer et entourée d’une nature luxuriante, qui pourrait se trouver dans n’importe quelle dictature du XXe siècle. Après un coup d’État militaire, trois membres de l’entourage domestique de l'ex-Président – le portraitiste, le coiffeur et le chef cuisinier – sont retenus dans sa résidence d’été par le leader révolutionnaire, le « Commandant », et ses troupes.
Tour à tour, chacun de ces personnages prend la parole pour confier son histoire, son passé et cet étrange enfermement qui évolue au fil des jours. Progressivement, ces prisonniers bien traités reprennent en effet leurs anciennes fonction auprès du Commandant ; et on assiste ainsi à l’appropriation des anciens attributs de la Présidence par le nouveau pouvoir.
Dans une seconde partie, c’est au tour de femmes qui leur sont proches – épouse, ancienne belle-sœur et fille – de se raconter. Et peu à peu, se dessine un portrait en creux du dictateur déchu et du nouveau : car, de manière terriblement logique, une nouvelle tyrannie se substitue à l’ancienne.

La construction du roman lui donne une épaisseur supplémentaire : la multiplication des points de vue, l’évolution des discours et des actes… Une construction intéressante donc, mais également un peu artificielle : les rebondissements (des « liens du sang » sont dévoilés et d’autres mis en avant, des alliances se renversent…) sont plus qu’attendus – bien que chargés de sens. Mais il ne s’agit que d’un léger bémol.
Très rapidement, ce pays-symbole s’est imposé à moi comme une dictature sud-américaine : impression renforcée par les personnages, qui évoquent par maints aspects ceux d’Isabel Allende ou de Gabriel Garcia Marquez. Leurs confessions dévoilent avec finesse le plus vil chez chacun : la lâcheté, la cruauté, l’opportunisme… et le goût du pouvoir bien entendu. Le lecteur désabusé s’attend cyniquement au pire et se trouve même surpris au moindre témoignage de courage ou d’intégrité.

Un roman très fort, et surprenant pour une première œuvre d’une si jeune femme (Ceridwen Dovey est née en 1980). Et une belle écriture, très fluide et pourtant très précise, qui fait oublier les petites scories et emporte le lecteur : continuer à lire en marchant est toujours un bon indicateur en ce qui me concerne !


Les liens du sang, Ceridwen Dovey (Héloïse d’Ormesson, 224 pages, 2008 / 10/18,
224 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Jean Guiloineau


mardi 31 août 2010

Seule Venise - Claudie Gallay


Comme beaucoup, j’ai entendu parler de Claudie Gallay avec Les Déferlantes (que je compte bien lire prochainement). Mais récemment, on m’a vivement conseillé Seule Venise, roman antérieur, remarqué par la critique (moins par le public). J'ai donc voulu commencer ma découverte de l'auteur avec ce texte moins connu et je ne le regrette pas...

Une preuve, s’il en fallait, qu’une « petite » histoire peut faire un superbe roman. L’héroïne dont on ne connaîtra pas le nom, parisienne d’une quarantaine d’années, quittée récemment par son compagnon, est totalement anéantie. En plein mois de décembre, après avoir vidé son compte en banque et jeté son téléphone portable, elle décide un peu par hasard, avant tout pour fuir, de partir à Venise – vide de ses habituels touristes.
Elle y loge dans une petite pension et nous entraîne dans ses promenades à travers les ruelles humides et froides de l’hiver vénitien, les innombrables ponts et les cafés intemporels.
Les habitants de la pensione sont aussi contrastés que touchants : un vieux prince russe en fauteuil roulant retranché dans sa chambre, exilé on ne sait pourquoi dans la cité italienne ; une éblouissante danseuse de ballet en tournée et son amoureux ; Luigi, le propriétaire aux dix-huit et quelques chats, qui espère comme chaque année la venue de sa fille pour les fêtes.

Les rencontres, les lieux : tout est subtilement dépeint, sans fioritures mais toujours avec une prose mélancolique et pourtant légère. Et cette héroïne si horripilante de désespoir au départ devient peu à peu lumineuse et attachante ; tout comme ses échanges avec l’orginal et mystérieux libraire.
À mon sens, la complicité qui se noue avec le prince est l’élément le plus beau et le plus riche de ce texte : les interrogations que cela suscite sur l’Histoire (la révolution russe, la fuite des riches blancs et leurs agissements, la Shoah…) et sur le sens même de l’amour et de la vie. Sujets d’une banalité si évidente mais traités avec beaucoup de finesse.

Ce texte m’a fait l’effet d’un bijou : dense mais limpide, poétique mais intensément réel et joliment ciselé d’une très belle écriture. Une douceur mélancolique à conseiller.


Seule Venise, Claudie Gallay (Le Rouergue, 304 pages, 2004 / Babel, 304 pages, 2006)

lundi 30 août 2010

Small world - Martin Suter


J’ai découvert Martin Suter il y a quelques années avec Le diable de Milan puis – dans le désordre – Lila, Lila et Le dernier des Weynfeldt. Ayant beaucoup aimé tous ces textes (que je conseille donc vivement), j’ai voulu mieux « connaître » cet auteur suisse-allemand en lisant son premier roman, Small world. Et je ne le regrette pas ! Car tout y est déjà : une grande maîtrise, une écriture fine, des personnages subtils, une tension psychologique permanente et constitutive de toutes ses intrigues.

Le héros, Conrad Lang, âgé d’une cinquantaine d’années, vit aux crochets de la riche famille Koch depuis des années. Vaguement gardien d’une de leur villa, il y met le feu un soir accidentellement, après un trou de mémoire. Bizarrement, la doyenne Elvira Koch continue à l’entretenir et l’installe même dans un grand meublé en ville…
Alors que Conrad semble se remettre et rencontre une femme qui lui permettrait de s’affranchir de la tutelle des Koch, ses absences reprennent, se répètent et deviennent de plus en plus préoccupantes. Tandis que sa mémoire proche se désagrège peu à peu, des souvenirs enfouis de l’enfance refont surface et lèvent peu à peu le voile sur son passé - que lui-même ignore… Et là, il vaut mieux que je m’arrête avant de trop en dire !

Martin Suter sait admirablement sonder ses personnages et tracer leurs ambiguïtés. À travers ses romans, il donne tout son sens à l'expression qui pourrait être creuse de « roman (quasi thriller parfois) psychologique ». À savoir, un savant mélange entre enquête dans les méandres de l'intime et suspense véritable. Un très bon roman donc !


Small world, Martin Suter (Christian Bourgois, 360 pages, 1998 / Points, 384 pages, 2000)
Traduit de l’allemand (Suisse) par Henri-Alexis Baatsch


D'autres livres de Martin Suter sur ce blog : Le cuisinier, Un ami parfait

PS: Un film qui en est inspiré vient de sortir : Je n'ai rien oublié - c'est d'ailleurs l'occasion d'une reparution en poche, faisant figurer ce titre et l'affiche du film, dommage... Malgré les critiques acerbes, et parce que j'adore aller au ciéma, j'essaierai d'aller voir cette adaptation et vous donnerai mes impressions !


vendredi 27 août 2010

Ciels de foudre - C.J. Box


J’avais déjà entendu parler de C. J. Box et assez envie de découvrir cet auteur des grands espaces américains : l’occasion m’en a été donné par le prix du meilleur polar Points qui m’a envoyé Ciels de foudre dans le cadre de sa sélection.
Ce « néo-western écolo »(trouvaille de la quatrième de couverture) est le nouvel opus d’une « enquête » (des guillemets car il s'agit plus de tâtonnements ) du garde-chasse Joe Pickett. Tout démarre avec la disparition d’Opal Scarlett, vieille veuve matriarche propriétaire d’un immense ranch, et la lutte immédiatement engagée par ses trois fils – un politicien, un chasseur et un attardé mental.

Au départ, le livre semble très prometteur : les grands espaces du Wyoming, des histoires de familles complexes (voire malsaines) et imbriquées, des rivalités politiciennes, un passé enfoui… Mais la lecture s’est avérée décevante. Et ce, pour plusieurs raisons :
Le personnage de Joe Pickett manque terriblement d’épaisseur : les multiples allusions à son passé sont certainement compréhensibles si on a lu ses précédentes aventures, mais ce n’était pas mon cas – et résultat, la sensation qu’il manque quelques clés pour les comprendre, lui et sa famille. Quant aux frères Scarlett, ils sont certes truculents mais quelque peu caricaturaux et pas assez « incarnés », tout comme le tueur vengeur psychopathe. Au final, les deux adolescentes (Sheridan Pickett et Julie Scarlett) mêlées bien malgré elles aux histoires de leurs aînés sont les personnages les plus nuancés et les plus riches du roman.
Quant à l’intrigue, loin d’être inintéressante (mais qu’est devenue la vieille Opal ?), elle n’est rapidement que prétexte.

J’ai une l’impression de lire un bon scénario (l’incarnation par des acteurs permettrait certainement d’atténuer l’aspect caricatural des portraits) mais un roman malheureusement ennuyeux et brouillon.


Ciels de foudre, C.J. Box (Seuil, 285 pages, 2009 / Points, 340 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Étienne Menanteau


lundi 26 juillet 2010

Le Prince des marées - Pat Conroy


Je ne sais plus vraiment pourquoi j'ai ouvert Le Prince des marées il y a quelques années, un peu par hasard certainement. Ce qui est sûr c’est que j’ai adoré, qu’il fait partie des titres que je conseille régulièrement et que je n'imaginais pas un blog sans en parler !

Tom Wingo a grandi sur l’île de Melrose en Caroline du Sud dans une famille chaotique. Henry, le père pêcheur de crevettes, rude et violent ; Lila, la mère trop belle et ambitieuse pour leur cabane au fond des marais ; Luke, le grand frère protecteur ; et surtout Savannah, la sœur jumelle future poétesse.
Tom a voulu un temps échapper à ce Sud haï mais tellement constitutif de tout son être, à ses souvenirs si douloureux : mais le voilà toujours là, marié et père de famille, un peu résigné, gâchant ses talents pour entraîner les élèves du lycée, tentant d’oublier le divorce destructeur de ces parents, sa mère remariée si aimable parfois et pourtant si monstrueuse, l'enfance ravagée par un mystérieux secret…
Savannah, sa moitié – car il s’agit bien d’une de ces gémellités complice et intense –, a fui à New York mais elle n’est pas pour autant sauvée : hantée par des fantômes terrifiants, elle est sujette à de violents délires et tente une énième fois de se suicider.
Sa psychiatre, Susan Lowenstein, fait alors appel à Tom pour tenter de reconstituer le passé de Savannah, comprendre ce qu’il avait de si dévastateur, et pouvoir ainsi espérer la sauver de sa folie. Et le dialogue se noue, compliqué et douloureux, traçant peu à peu l'histoire des Wingo.

Comment expliquer un vrai « grand » roman… Car c’est ce que j’ai ressenti après avoir refermé ce livre : une fresque familiale tumultueuse, bouleversante mais pleine d’un humour acide à chaque page, un récit haletant (les mille pages passent trop vite) servi par une langue si riche. C’est aussi une formidable peinture du Sud profond – personnage fondamental de tous les romans de Pat Conroy qui sait à la fois le rendre attachant et détestable. A lire donc !


Le Prince des marées, Pat Conroy (Belfond, 588 pages, 2002 / Pocket, 1070 pages, 2004)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Cartano


jeudi 15 juillet 2010

Lemmer l’invisible - Deon Meyer


Deuxième lecture dans le cadre de la sélection pour le Prix du polar Points. J’ai déjà lu un livre de cet auteur sud-africain prolifique mais le fait qu'il ne m’ait laissé aucun souvenir ne me met pas en confiance…

Lemmer, qui sort de quatre ans de prison, est employé comme garde du corps par la société Body Armour. L’agence est contactée par une jeune femme afrikaner, Emma Le Roux, qui veut une protection après avoir été attaquée chez elle. Emma est persuadée que cette agression est liée à ses récentes démarches au sujet d’un avis de recherche. Elle pense en effet y avoir reconnu son frère dans la photo d’un homme poursuivi pour meurtre. Problème : son frère est mort il y a vingt ans de cela.
Lemmer est perplexe : Emma est une très belle femme à l’air plutôt sensé mais elle semble obsédée par cette histoire et à la limite de l’affabulation. Mais lorsqu'ils échappent de justesse aux tirs de trois hommes cagoulés, sa curiosité est piquée au vif et il accepte la mission…

Le rythme est soutenu, le trouble entre Lemmer et Emma ajoute de l'intensité à cette protection qui devient vite une enquête dangereuse pour les deux protagonistes. À la longue toutefois, les attirances et histoires personnelles de Lemmer prennent toutefois bien trop de place dans le récit ! Son personnage de garde du corps discret et renfermé n’en est pas moins atypique, et son côté antihéros le rend attachant.
Il est question du grand bush sud-africain, de la société postapartheid, des enjeux écologiques actuels, mais aussi du passé politique de la région. J'aurais aimé que tous ces aspects soient plus consistants et plus constitutifs du récit, notamment l’histoire récente du pays.

Une lecture assez agréable, une intrigue prenante (néanmoins un final trop abracadabrant pour moi) mais rien de marquant... À conseiller pour la plage donc, mais certainement pas pour véritablement découvrir l'Afrique du Sud…


Lemmer l’invisible - Deon Meyer (Seuil, 432 pages, 2008 / Points, 544 pages, 2010)
Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Estelle Roudet


lundi 5 juillet 2010

La Dame noire - Stephen Carter


Stephen Carter reprend ici le cadre de son premier roman Échec et mat (l'université d'Elm Harbor, petite ville de Nouvelle-Angleterre) et deux de ses personnages secondaires : Lemaster Carlyle, ancien conseiller du président des États-Unis – à noter que l’auteur le fut auprès de Bill Clinton) et président de l'une des plus prestigieuses universités d'Amérique ; et sa femme Julia, doyenne et vice-présidente de la faculté de théologie. Tous deux forment un couple très en vue, souvent jalousé, et vivent dans le quartier huppé – blanc – d'Elm Harbor.
Un soir, en rentrant d'une réception, ils découvrent le cadavre de Kellen Zant, économiste réputé, ancien amour de Julia et rival fréquent de Lemaster. Bien malgré elle, Julia se retrouve peu à peu à mener l’enquête sur ce meurtre et à fouiller un passé vieux de trente ans qui implique son mari et ses amis de jeunesse – l’actuel occupant de la Maison Blanche et le sénateur briguant le prochain mandat.

Dans ce second roman, Carter poursuit son étude de la communauté afro-américaine, ou plutôt de ses élites intellectuelles et financières, et surtout de leurs contradictions : une volonté farouche de défendre les droits de l’«obscure nation » et pourtant une vie quotidienne plus proche des Blancs.
Par le biais d’une quête de la vérité, c’est de politique et de problématiques raciales dont il est question : les méandres du pouvoir, l’amabilité de façade de certains Blancs pour les Noirs puissants comme les Carlyle, la permanence des idées reçues…

J’ai dévoré ces 900 pages brillantes et passionnantes, comme je l’avais fait pour Échec et mat – dans lequel j’ai bien envie de me replonger. Très bien écrit, extrêmement intelligent, c’est autant un roman-document à la Tom Wolfe qu’un roman policier.
L’auteur en semble conscient d’ailleurs et c'est comme s'il introduisait certains passages uniquement pour respecter les « codes » du polar : une intrigue terriblement alambiquée (on finit par s’y perdre quand on lit, comme moi, un peu trop vite), des scènes d’action sans grand intérêt (peu nombreuses, heureusement) et un dénouement haletant et spectaculaire. Dommage, car on préfèrerait des rebondissements plus sobres.
Mais l’ensemble reste un formidable et captivant roman de société.


La Dame noire, Stephen Carter (Robert Laffont, 656 pages, 2009 /
Pocket, 912 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Cohen


jeudi 1 juillet 2010

Élégie pour un Américain - Siri Hustvedt


De retour à New York après l'enterrement de leur père dans le Minnesota, Erik Davidsen et sa sœur, Inga, découvrent une vieille lettre mentionnant une mort mystérieuse dans laquelle leur père aurait été impliqué dans sa jeunesse. Dès lors, avec l’aide d’Inga, Erik, psychiatre divorcé un peu esseulé, tente de reconstituer cette histoire : en lisant les vieux carnets de son père, en questionnant discrètement sa mère, en partant à la recherche de la femme qui a écrit cette missive… Et, davantage qu’élucider ce (pseudo)-mystère, il lève le voile sur la vie de son père – son parcours d’immigré norvégien, son expérience de la guerre et sur ses propres questionnements…
À côté de cette histoire passée que l’on découvre tel un archéologue, par bribes successives, on suit Erik et son entourage : sa sœur Inga, récemment veuve d’un romancier célèbre (dont une ancienne maîtresse menace de vendre la correspondance), sa nièce Sonia, adolescente traumatisée par l’expérience du 11-Septembre, mais aussi la belle Miranda qui lui sous-loue le rez-de-chaussée de sa maison avec sa fille Eggy, et dont l’ex, artiste illuminé, rôde toujours. Pour cette petite, et pour Sonia, Erik joue un peu le rôle du père – lui qui est sans enfant.

C’est un très beau texte : sur l’âge, la mémoire tant individuelle que familiale, le souvenir que l’on veut (ou non) garder des autres, la difficulté à transmettre à ceux que nous aimons. Les « thèmes » sont peut-être même trop nombreux et j’ai notamment regretté que la question du déracinement et de l’immigration ne soit pas plus approfondie : mais c’est certainement là une lecture trop « française » car les enjeux, dans un pays dont le melting-pot est une mythologie originelle, sont probablement moins pesants.
On ne peut s’empêcher de chercher la comparaison entre Siri Hustvedt et son célèbre mari Paul Auster : si les univers et les problématiques se rejoignent, l’écriture de Siri Hustvedt est bien plus ancrée, plus « réelle » en quelque sorte. Si ce roman m'a beaucoup plus, avec le recul, le précédent, Tout ce que j’aimais, me paraît supérieur : plus intense mais aussi plus sombre…


Élégie pour un Américain, Siri Hustvedt (Actes Sud, 400 pages, 2008 / Babel, 400 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Le Bœuf


jeudi 24 juin 2010

Dope - Sara Gran


Me voilà membre du jury des lecteurs du Prix du meilleur polar des éditions Points… Je me retrouve donc avec une petite dizaine de livres, que je n’aurais peut-être pas tous choisis… Mais l’expérience va être intéressante, j’en suis sûre, et les découvertes nombreuses, je l’espère !

J'ai commencé par Dope, un premier roman surprenant dont j’avais repéré les critiques élogieuses lors de sa parution. Surprenant, car on imagine plus un Raymond Chandler derrière cet univers qu’une jeune Américaine de même pas quarante ans…
Original donc par son sujet : dans les années cinquante à New York, les recherches de Joey, ex-junkie, ex-taularde, difficilement clean depuis deux ans. Engagée - étrangement - par un riche couple pour retrouver leur fille, étudiante paumée sous l’emprise d’un petit dealer vaguement mac, Joey mène l’enquête dans les lieux même de sa propre descente quelques années auparavant. Le roman est passionnant pour ce personnage marginal toujours sur la brèche, son passé, ses rencontres, et tout ce que cela raconte de "l'autre" New York, celui des bas-fonds, de la drogue et de la prostitution (d’ailleurs bizarrement assez intemporel, mis à part les vêtements des uns et des autres).

Malheureusement, cet aspect quasi-documentaire finit par devenir un peu lassant : à rencontrer le même type de destins brisés, le même type de personnages désenchantés, dans le même type de bars sordides, les descriptions se répètent et la narration tourne un peu en rond. De l'autre côté, on regrette que les parcours passés et la psychologie de Joey et surtout de ceux qui l’entourent soient moins approfondis.

Passé cet enlisement du récit, des rebondissements vraiment inattendus viennent donner un nouveau souffle au roman et raviver l'intérêt du lecteur... jusqu'à un final trop abracadabrant pour être convaincant.
Un moment pas désagréable mais décevant. Et pourtant la sensation d'un auteur à suivre (Viens plus près vient de paraître chez Sonatine)...


Dope, Sara Gran (Sonatine, 220 pages, 2008 / Points, 270 pages, 2010)
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Françoise Smith

vendredi 18 juin 2010

Syngué Sabour - Atiq Rahimi


Le bandeau « Prix littéraire X ou Y » attire inévitablement mes yeux, mais je m’en méfie (pour avoir été souvent déçue, cf L’histoire de Chicago May). Et on m'a offert ce Goncourt 2008 qui avait l’air très prometteur…

Dans un pays jamais nommé (comme la plupart des personnages), mais que l’on devine être l’Afghanistan, agité par des extrémistes musulmans, une femme s’occupe de son mari tétraplégique. On comprend rapidement qu’il est l’un de ces « combattants de Dieu » et que c’est ainsi qu’il a été presque fatalement touché. L'homme a tout d’un cas désespéré : nourri par une sonde d’eau sucrée (il n’y a plus de médicaments disponibles), il ne manifeste aucune réaction.
Dans une ville en proie aux combats, bloquée chez elle par ce mari qui aurait « mieux fait de mourir », la femme tente de survivre, de s’occuper de ses deux filles, de préserver chacun et chacune des attaques extérieures.
On suit le fil de ses pensées face à ce corps apparemment sans vie : son histoire est ainsi retracée par bribes, au gré des souvenirs qui lui viennent. Toute la dureté de sa condition de femme dans un pays férocement misogyne, où la famille fait figure d’autorité supérieure, s’impose à nous : les mariages arrangés, les viols, la sexualité toujours honteuse, la peur (du mari, de la belle-mère, du père, etc.). Ce n’est pas un hasard si le roman est dédié à une Afghane morte sous les coups de son époux…
Syngué sabour, c’est la « pierre de patience » : selon un mythe perse que lui racontait son beau-père (homme éminemment intelligent, et donc considéré comme fou par presque tous), il s’agit « d'une pierre magique que l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances », tout ce que l’on n’ose révéler à personne… jusqu’au jour où la pierre éclate et nous délivre. Et là, dans sa solitude angoissée, son mari joue le rôle de cette pierre... jusqu'au dénouement.

J’ai eu du mal à entrer dans ce texte : au tout début, la femme est essentiellement dans la complainte et ne se laisse pas encore aller aux souvenirs – le texte est alors plus mélopée que récit. Mais très rapidement, l’écriture ciselée, sans fioritures mais d’une grande beauté, prend le dessus et le texte prend toute sa force. Au final, un roman exceptionnel, au sens propre : pas « formidable », pas « page turner », mais une lecture unique, infiniment particulière et au ressenti très fort. Une seule petite réserve : la fin, réelle ou métaphorique ?


Syngué Sabour, Atiq Rahimi (P.O.L., 154 pages, 2008)

jeudi 3 juin 2010

Comme Dieu le veut - Niccolò Ammaniti


Adorant la littérature italienne (en V.O. quand j’ai le courage), j’ai découvert Niccolò Ammaniti en m’intéressant aux « Cannibales » à la fin des années 90, un mouvement littéraire italien qui a alors suscité les polémiques. En fait de « mouvement », il s’agissait plus d’un assemblage hétéroclite de jeunes écrivains, baignant dans une culture du divertissement, de la consommation et de la violence, et animés de préoccupations (et de qualités) variées. Tous cherchaient à se réapproprier un langage loin de la langue de Dante et plus proche de la modernité et de leur génération, un langage souvent violent, parfois réinventé. Le « mouvement » a périclité mais a permis de faire connaître certains auteurs…
J’ai lu (et aimé) les précédents textes de Niccolò Ammaniti il y a déjà quelques temps : Branchies, Et je t’emmène, Je n’ai pas peur (peut-être celui que je préfère). C’était donc avec impatience que j’ai ouvert Comme Dieu le veut.

Cristiano Zena vit avec son père, Rino, dans un coin perdu de l’Italie berlusconienne. Surveillés par les services sociaux, ils forment un duo terriblement glauque : le père skinhead nazi, chômeur, totalement alcoolique, et son fils qui l’adore, sans repères, souvent laissé à lui-même… Ils vivent dans une maisonnette plus proche du taudis, qu’ils ne nettoient vaguement que pour la viste hebdomadaire de l’assistant social, Beppe - autre protagoniste de ce roman choral, ancien religieux torturé en proie à un désir nécessairement « coupable » pour la femme d’un ami.
Lors des brèves apparitions (souvent conflictuelles) de Cristiano au collège, on croise aussi Fabiana, adolescente en apparence si « populaire », qui joue à la femme fatale pour épater la galerie, mais est au final terriblement mal dans sa peau. Très banal, me direz-vous, mais Ammaniti sait dans un mélange savant de brusquerie et de finesse tracer le portrait de cette jeune fille et nous faire ressentir ses petites et grandes douleurs.
Quant à Rino, il est perpétuellement flanqué de ses deux amis atypiques : Quattro Formaggi (surnommé ainsi en hommage à sa pizza favorite), plus ou moins handicapé, à l’esprit embrumé et obsédé par les films pornos, et Danilo, alcoolique depuis peu, en rupture de ban et quitté par sa femme depuis la mort de leur fille. Tous trois préparent LE casse censé leur permettre de commencer une nouvelle vie…
On suit tous ces personnages évoluer tant bien que mal jusqu’à la nuit prévue pour le fameux braquage. Véritable évocation apocalyptique, cette nuit de déluge où le fleuve déborde et inonde tout sur son passage, voit basculer le destin de chacun d’entre eux. Et nous entraîne dans encore plus de noirceur.

Niccolò Ammaniti dépeint avec délectation ces personnages ignobles que l’on finit par trouver attachants, malgré leur racisme, leur bêtise, leur méchanceté, leur violence. Il nous montre surtout tout un pan de la société italienne, gangrénée par l’argent et les apparences, et où la religion est toujours à l’œuvre. Un tableau triste, cruel et amoral, mais très percutant : une écriture toujours aussi forte et un regard acéré.
Quelques bémols néanmoins… Le texte un peu trop kaléidoscopique (on aurait bien aimé s’attarder un peu plus sur certains personnages) traîne parfois en longueur. Quant à l’écriture d’Ammaniti, elle est toujours aussi forte et sert avec brio son propos – mais elle peut exaspérer car elle n’est pas dénuée d’une certaine auto-complaisance. Mais ce sont là les défauts des élèves trop doués !


Comme Dieu le veut, Niccolò Ammaniti (Grasset, 542 pages, 2008)
Traduit de l'italien par Myriem Bouzaher

vendredi 28 mai 2010

Un Juif pour l'exemple - Jacques Chessex


Dans ses livres, ce grand auteur suisse (disparu en 2009) mêle à des thématiques très sombres, de l’érotisme parfois, une spiritualité quasi ésotérique souvent (le dernier en date porte sur le marquis de Sade). J’avais apprécié Le vampire de Ropraz, j’ai donc voulu lire Un Juif pour l’exemple qui use du même procédé : un fait divers historique, la Suisse et surtout la terrible inhumanité des hommes.

Jacques Chessex narre un épisode advenu dans sa région natale alors qu’il était âgé de huit ans. En 1942, à Payerne, « ville des charcutiers » plutôt cossue dont l’emblème est un cochon, une bande de nazillons, tous fascinés par Hitler et adhérents au parti extrémiste suisse, s’agite. Ils veulent faire un coup d’éclat, pour impressionner le NSDAP qui créerait une cellule dans leur région, que dirigerait bien sûr leur leader Fernand Ischi. Dans ce but, ils décident d’exécuter – à leurs yeux, de « sacrifier » – un Juif : le choix se porte sur Arthur Bloch, marchand de bestiaux qu’ils « tueront comme un cochon », et effectivement les détails donnent la nausée.
Les meurtriers sont assez rapidement découverts et jugés en 1943 : ils ne montrent, évidemment, aucun regret et revendiquent fièrement leur monstrueux assassinat. Ils se vantent même d’avoir établi une liste de leurs prochaines victimes.
Dans plusieurs entretiens, Jacques Chessex raconte à ce propos que son père, président du Cercle démocratique (farouchement antinazi), était deuxième sur cette liste. Profondément marqué par cette histoire, il ressentait le besoin de s’en faire l’écho. Et c’est ce qu’il fait dans ce récit, en décrivant les événements et le mental des protagonistes, et en questionnant la notion même de « mal ».
Dans la restitution de toute cette horreur, la justesse du ton des propos extrémistes peut mettre le lecteur mal à l’aise. On est tenté de reprocher à l’auteur de leur donner une tribune, mais ce n’est évidemment pas le cas : dans les derniers paragraphes, Chessex explique clairement sa posture. Parallèlement à la narration, il s’interroge sur la question de l'horreur et convoque pour cela Jankélévitch (là, j’ai un peu décroché, il faut l’avouer), expliquant la difficulté à parler de ces monstruosités « authentiques ».

Bref, un texte court, extrêmement littéraire (style brillantissime mais difficile) et terriblement puissant.


Un Juif pour l’exemple, Jacques Chessex (Grasset, 112 pages, 2009)

mardi 25 mai 2010

L’histoire de Chicago May - Nuala O'Faolain


L’histoire de Chicago May : des critiques enthousiastes quasi unanimes, un prix littéraire (le Femina étranger en 2006)… résultat : trois ans que je pense à le lire. Et, chaque fois, même réaction en librairie : je (re)lis la quatrième, feuillette l’ouvrage… et le repose sur son étagère. Il faut parfois savoir faire confiance à son instinct : et pourtant, le bravant, je finis par commencer la lecture de ce livre de Nuala O’Faolain.
Fascinée par le destin de Chicago May, qu’elle découvre un peu par hasard, la romancière décide d’en écrire l’histoire et témoigne de cette quête en parallèle du récit.

« Chicago May », née May Duignan, quitte son Irlande natale pour les États-Unis en 1890. C’est le début d’une vie d’aventurière : prostituée, voleuse, arnaqueuse, girl dans une revue, braqueuse de banque… elle connaîtra les bouges minables de New York, les grands hôtels, la prison, et au final la déchéance. Cette femme d’un autre temps a effectivement une histoire hors du commun – où les hommes et l’argent tiennent une grande place. Mais je suis restée à l’extérieur : comme insensible à l’intérêt que Chicago May suscite chez Nuala O’Faolain, ou plutôt insensible au traitement que la romancière en offre. Car, si l’on considère ce destin tortueux, le récit est en fin de compte assez plat. À trop vouloir être exhaustif, consciencieux, le texte est pesant et assez ennuyeux. Et l’écriture.
Bref, une grande déception : pour la première fois depuis longtemps, j’ai failli ne pas finir un livre (et je l’ai fait… mais en grandes diagonales). Je continue à me demander si je suis passée à côté d’un grand texte, et de son auteur…


L’histoire de Chicago May, Nuala O’Faolain (Sabine Wespieser, 448 pages, 2006 /
10/18, 400 pages, 2008)
Traduit de l'anglais (Irlande) par Vitalie Lemerre

jeudi 20 mai 2010

Seul le silence - R.J. Ellory


Par quoi commencer ? Après trop d’hésitations, ce sera le dernier livre que j’ai offert, parce que beaucoup aimé : Seul le silence de R. J. Ellory (non, je n'ai pas fait de faute de frappe, ce n'est pas Ellroy).

Dans ce roman noir, Joseph Vaughan revient sur l’affaire criminelle qui le hante depuis plus de trente ans : une série de meurtres de fillettes dont il a découvert le premier corps, atrocement mutilé, à l’âge de douze ans. Aux souvenirs liés au sort fait à ces enfants, se mêlent ceux de l’adolescence de Joseph : sa vie seul avec sa mère veuve, les rumeurs de la Seconde Guerre mondiale dans son petit bourg de Georgie, ses débuts prometteurs comme écrivain précoce encouragé par la jeune institutrice, ses premiers émois, etc.
Après des années d’enquêtes infructueuses, le coupable est désigné et Joseph, touché à nouveau de bien trop près par ces horreurs, part démarrer une nouvelle vie à New York. Le sort continue à s’acharner et, longtemps après, alors qu’il comprend que rien n’était élucidé, Joseph retourne dans sa région natale, sur les traces du monstre qui l’a hanté, jusqu’au dénouement final libérateur.

D’habitude, j’aime bien les bons polars (on est d'accord qu'il ne s'agit donc pas de Mary Higgins Clark et autres) : ils me font le même effet qu’une série télé réussie, ils me captivent et me détendent plus facilement. Ici, il ne s’agit pas d’un simple polar, mais de « vraie » littérature… qui accessoirement est policière. L’écriture est formidable : ample, elle se déploie et happe le lecteur, tout comme l’histoire qui maltraite son héros et maltraite le lecteur. Bref, Seul le silence m’a bouleversée, et j’ai adoré.


Seul le Silence, R. J. Ellory (Sonatine, 500 pages, 2008)
Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Fabrice Pointeau

mercredi 19 mai 2010

Un blog de plus...


Un blog… un de plus ? Pourquoi ? et pourquoi pas en fait ?... Pour parler livres – surtout – mais aussi ciné, théâtre, concerts, etc.
Pas sûre que ce soit pour être lue : mais tant qu’à écrire mes observations, autant qu’elles puissent (éventuellement peut-être on ne sait jamais !) trouver quelque utilité …
Le défi est grand : faire de mes vagues impressions, une « critique », en tout cas un petit texte intelligible, si ce n’est intelligent…
C'est parti !