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vendredi 6 mai 2011

Invisible - Paul Auster


Les derniers romans de Paul Auster que j'ai pu lire ne m'ont pas totalement convaincue. C'est pourquoi j'ai un peu traîné à me lancer dans Invisible : je ne regrette pas de m'être enfin décidée !

New York, printemps 1967, lors d’une soirée, Adam Walker, étudiant en littérature à Columbia, rencontre Rudolph Born, un riche professeur franco-suisse, accompagné de sa compagne Margot. Adam est séduit par l’esprit de l’un, et le charme mutique de l’autre.
Au fil des jours, une étrange relation se noue entre eux : Born propose à Adam de financer largement une revue de littérature d’avant-garde que le jeune homme dirigerait ; le Français multiplie les allusions douteuses sur l’attirance entre Margot et son protégé ; tient des propos réactionnaires et provocateurs… Un événement – qu’il serait dommage de dévoiler – vient brusquement interrompre ce triangle et plonge le jeune et naïf Adam dans des sentiments jusque-là inconnus.
Le deuxième chapitre s’ouvre, quarante après, sur Jim, écrivain reconnu, surpris de recevoir une lettre de son ancien ami de l’université, Adam. Ce dernier, malade, désire lui faire lire un manuscrit où il se raconte. On comprend alors que l’on vient de lire le premier chapitre de ce récit.
La suite, « l’été », se déroule à New York et met en scène la cohabitation entre Adam et sa sœur Gwyn. On découvre leur histoire familiale, douloureuse, et le lien intense qui les unit. Vient ensuite l’automne pendant lequel le jeune homme part étudier à Paris, où son destin croise de nouveau celui de son éphémère mécène… On n’échappe pas aux clichés sur la vie estudiantine bohème et le quartier latin, mais ces évocations ont quelque chose de délicieusement plaisant et l’évolution d’Adam capte notre attention.
La fin est reconstituée et racontée par Jim, à partir des notes de son vieil ami, puis de sa propre enquête.

Invisible, c’est l’initiation d’un jeune idéaliste : l’apprentissage du désir, de la justice, des manipulations et des lâchetés des hommes. C’est aussi tout un questionnement sur la fuite.
Avec ce roman, entre kaléidoscope et poupées russes, Paul Auster interroge la création, ses processus et ce qu’elle autorise : où s’arrête le récit du réel ? Adam « invente »-t-il tout, une partie ou rien ? Quoi qu’il en soit, a-t-il le droit de convoquer des personnages réels ? Et quels sont le droit et le devoir de Jim dans tout cela ?

Itinéraire trouble et réflexion sur la fiction, Invisible est un très beau roman où j’ai retrouvé le Paul Auster grave et profond mais pour autant non dénué de malice et de légèreté – de Léviathan.


Invisible, Paul Auster (Actes Sud, 300 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Le Bœuf


lundi 2 mai 2011

Le Choeur des femmes - Martin Winckler


J’ai lu seulement l’année dernière le best-seller de Martin Winckler, La maladie de Sachs, et ce fut un véritable coup de cœur. Un grand moment de lecture : de ceux qui vous font lire en marchant, debout dans une file d’attente, ou encore serré dans une rame de métro bondée – et surtout jusque des heures impossibles. Alors je croisais les doigts en commençant celui-ci…

Le Choeur des femmes reprend le même type de canevas : un roman choral où s’entrecroisent les récits d’un médecin, de ses patient(e)s et de son entourage.
Mais, alors que La maladie de Sachs se déroulait dans un petit village et traitait de médecine générale – Bruno Sachs, ses parents et amis, et surtout ses patients, populations variées, hommes et femmes de tous âges et de tous milieux –, Le Choeur des femmes met en scène Jean Atwood, interne brillantissime qu’on envoie passer son dernier semestre dans un service consacré à la médecine des femmes.
Autre différence notable : le docteur Atwood est aussi désagréable de prime abord que le docteur Sachs était attachant… Notre jeune interne major de promo veut faire de la chirurgie avant tout, et aborde avec ennui et énervement ce dernier stage : faire des soins sans intérêt, prescrire des pilules ou des stérilets, écouter des femmes se plaindre toute la journée… Qui plus est, sous les ordres du docteur Karma, prétendu « Barbe bleue » tyrannisant ses étudiants !

La collaboration ne démarre donc pas sous les meilleurs auspices mais on les rencontre peuvent parfois être surprenantes… Jean va découvrir des aspects jusque-là inconnus de son métier, découvrir – une évidence ? – que derrière les patientes se cachent des personnes qui ont beaucoup à apporter, et surtout se découvrir. En cela, Le Choeur des femmes a tout d’un roman de formation et de réapprentissage.
C’est aussi, et le titre l’illustre parfaitement, un ensemble de récits contrastés qui dessine une formidable galerie de portraits, riches de situations, de profils et de sentiments.
Élément plus surprenant, il s’agit également d’un passionnant livre documentaire sur la médecine des femmes : Martin Winckler, médecin iconoclaste, balaie les idées reçues (et si certaines m’étaient connues, j’en ai appris beaucoup !), secoue l’establishment en pointant du doigt des pratiques dépassées, parfois même abusives, et surtout explique de nombreuses choses sur l’avortement, la contraception, la grossesse et ces autres « problèmes de femme »…
Et Martin Winckler parvient à proposer cela sans nuire à la qualité et au rythme du récit, servi en outre par une véritable intrigue : que cache Jean ? la rencontre avec Karma changera-t-elle le cours des choses ? et Karma, que cherche-t-il à oublier ?
Alors, certes, il y a quelques longueurs, des ficelles un peu grosses et un soupçon de démagogie, mais j’ai dévoré ces six cents pages en moins d’un week-end !

À lire avec bonheur donc.


Le Choeur des femmes, Martin Winckler (P.O.L., 608 pages, 2009 / Folio, 648 pages, 2011)


mercredi 13 avril 2011

Journal d’une bipolaire - Emilie Guillon, Patrice Guillon, Sébastien Samson


Une fois n’est pas coutume, je vais parler d’une BD – ou d’un « roman graphique » comme veut l’expression consacrée pour désigner les bandes dessinées ayant un contenu plus dense (je schématise un peu). Je n'en lis pas énormément, mais il y a vraiment des choses formidables (j’essaierai d'ailleurs de faire un post sur ces bijoux de la BD de temps en temps).

Le Journal d’une bipolaire, ma dernière découverte graphique, porte sur un sujet peu évident : la bipolarité (nouvelle appellation de la maniaco-dépression) de Camille.
Au tout début du livre, la jeune fille revient de vacances au Canada et, entre la pression que lui met son petit ami québécois et les partiels qui arrivent, elle « craque ». La bipolarité – pour résumer, des fluctuations anormales de l’humeur – se déclare souvent autour de la vingtaine, fréquemment à la suite d’un déclencheur : un stress important, un événement traumatisant. En l’occurrence, la maladie n’est pas diagnostiquée de suite : on croit à une déprime, un chagrin d’amour, etc., mais la gravité de la situation s’impose à Camille et à son entourage assez rapidement.

Camille oscille entre fatigue chronique, moments d’euphorie intense, idées noires et tentatives de suicide… Multipliant les expérimentations diverses, tombant dans l’excès (d’alcool, d’aventures d’un soir), elle enchaîne les rechutes plus ou moins graves et fait de fréquents séjours en centres psychiatriques. Les médecins tentent alors de trouver – et de doser – un traitement adéquat qui permettrait à la jeune fille d’être plus sereine et de mener une vie « normale ».
Car c’est aussi de cela qu’il s’agit : Camille arrête évidemment ses études, s’éloigne de ses anciens amis, reste souvent enfermée chez elle, ou en clinique comme dans une bulle (entourée de jeunes malades, isolée du monde réel).
Dès lors, quand elle décroche un CDD de six mois à Eurodisney, c’est un véritable défi qui se pose : mener quelque chose jusqu’au bout, rester six mois sans retourner à l’hôpital, se faire de nouveaux amis en dehors du circuit des cliniques…
Quant à ses parents, divorcés, ils sont très présents, mais également désemparés et parfois épuisés, presque poussés à bout. Il est intéressant de voir leurs réactions, l'incompréhension initiale et l'acceptation progressive de son état par son entourage.

Si cette BD est tellement juste, c’est qu’elle est autobiographique : aidée par son père Patrice Guillon (pour les amateurs de BD, il est connu comme scénariste sous le nom de Pierre Henri), Emilie raconte la bipolarité au quotidien, les débuts de la maladie, ses conséquences pratiques, comment il faut apprendre à vivre avec.
La collaboration père/fille sur un sujet nécessairement douloureux n'a pas dû être un exercice toujours évident mais le résultat est vraiment intéressant.
La postface écrite par un psychiatre vient intelligemment compléter et expliciter de nombreux éléments évoqués dans ce témoignage.

Impossible de finir ce billet sans parler du dessin. Je ne suis pas très calée en la matière : il me suffit que le trait serve avec justesse le propos (et encore). C’est le cas ici puisque Sébastien Samson offre des dessins vifs, efficaces et empreints de jeunesse.

Le Journal d’une bipolaire est une BD touchante, un récit sans complaisance d’une jeunesse contrariée. Emilie Guillon nous ouvre une fenêtre très humaine pour découvrir une pathologie psychiatrique, certes connue de nom, mais rarement incarnée.
Une très belle lecture, utile.


Journal d’une bipolaire, Emilie Guillon/Patrice Guillon/Sébastien Samson (La boîte à bulles, 96 pages, 2010)

mardi 22 mars 2011

L’Origine de la violence - Fabrice Humbert


Pas évident de donner mes impressions sur ce livre : des critiques quasi unanimes, un ressenti mitigé et une histoire pourtant pleine de sens.

Lors d’une visite de Buchenwald avec ses élèves, le narrateur, jeune professeur de littérature, est comme happé par une photographie représentant le médecin du camp : à l’arrière-plan, un prisonnier ressemble étonnamment à son propre père, Adrien Fabre.
La ressemblance est trop frappante, l’impression d'étrangeté est trop forte, et Adrien élude un peu trop le sujet quelques semaines plus tard…
De là, commence un travail de reconstitution et d’enquête grâce auquel le narrateur découvre un pan inattendu de son histoire familiale. Il trace peu à peu le portrait de David Wagner – un détenu juif parmi tant d’autres, tailleur parisien rêvant de réussite, jeune homme charmeur et opportuniste, victime des camps de la mort… Son véritable grand-père.
Inlassablement, notre héros poursuit sa quête, cherche des explications : en Allemagne où il s’installe et tente de reconstituer à la fois les événements autour de la mort de David et le destin des protagonistes, en Normandie où sa grande famille bourgeoise se réunit ponctuellement, à l’hôpital où son grand-père Marcel – l’autre, celui de toujours – accepte enfin de lever le voile.

Si on ne se débarrasse pas aisément d’une telle révélation, on ne tourne pas davantage le dos à une filiation, une appartenance : Adrien est bien plus le fils de Marcel Fabre que de David Wagner, et le narrateur son petit-fils. Fabrice Humbert explore avec finesse la filiation, le poids des origines « véritables », celui de l'éducation et bien entendu la force du secret de famille.

Une trame intéressante, une écriture fine et percutante : tout est là pour faire un grand roman. Et pourtant, L’Origine de la violence ne m’a pas réellement plu. Il m’a malheureusement fait enfin comprendre ce qui me déplaît souvent dans les textes teintés d’autofiction : l’autopsychanalyse. Certes, le héros veut comprendre « l’origine de sa violence » mais le décorticage méthodique des uns et des autres est l’occasion de développements parfois très longs, voire ennuyeux.
Une partie importante du récit est consacrée aux camps : et, c’est terrible à dire mais, pour qui a lu ne serait-ce que Primo Levi et Jorge Semprun, ce n’est pas toujours passionnant. Ici, l’auteur aurait dû selon moi se concentrer sur le factuel, et moins se précipiter dans les considérations plus générales sur une thématique explorée déjà si finement.

Une impression étrangement mitigée donc : L’Origine de la violence est une histoire intéressante, traitée avec subtilité, les réflexions sont pertinentes… mais des longueurs, des développements peut intéressants et un certain narcissisme m’ont déçue.


L’Origine de la violence, Fabrice Humbert (Le Passage, 320 pages, 2009 / Livre de Poche, 352 pages, 2010)


vendredi 19 novembre 2010

Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet - Antoine Bello


Achille Dunot est un inconditionnel absolu d’Agatha Christie, et surtout de son fameux (et horripilant selon moi) Hercule Poirot, dont il admire les méthodes et le formidable esprit de déduction. Policier lui-même, il a été récemment mis à la retraite car il souffre d’amnésie antérograde à la suite d’un accident fâcheux – et significatif, puisque une massive anthologie de la littérature policière lui est tombée dessus. Depuis lors, sa mémoire ne forme plus de nouveaux souvenirs : sa journée s’« efface » pendant son sommeil et, chaque matin, sa femme doit lui rappeler son état.

Malgré tout, face à un cas particulièrement délicat, le chef de la police lui demande de participer à l’enquête sur la disparition d’Emilie Brunet et de son professeur de yoga (et amant). Cette jeune héritière de la région est mariée avec un éminent neurologue, Claude Brunet, à l’égo aussi imposant que le nombre de maîtresse.
L’intrigue a tout du classique du genre : la femme fortunée, le mari volage, la gouvernante aigrie, l’amant, etc. Claude Brunet est dès le départ le premier suspect mais les interrogatoires tournent vite en rond. En effet, lorsqu’il est allé déclarer la disparition de son épouse au commissariat, l’agent en service a étrangement perdu toute mesure et a tenté de lui extorquer des aveux par la force. Depuis le choc, le célèbre spécialiste de la mémoire souffrirait d’amnésie et ne se souviendrait plus du jour de la disparition de son épouse… C’est bien commode, et le brillantissime scientifique s’en délecte en laissant entendre tout et son contraire. Achille Dunot serait-il face au crime parfait ? Même lui semble peu à peu séduit par le charisme et l’intelligence hors du commun de son suspect.

Pour tenter de résoudre l’affaire, Achille décide de tenir un journal – qui constitue le livre que nous tenons entre les mains – où, avant de se coucher, il consigne consciencieusement les événements de la journée. Journée qui commence réellement de plus en plus tard puisqu’il doit commencer par prendre connaissance de son carnet dans son intégralité ! Rapidement, il essaie de biffer les phrases sans grand intérêt pour l’enquête, espérant ainsi diminuer un peu son temps de lecture quotidien. On se trouve alors face à quelques lignes, peu nombreuses, raturées : l’artifice n’apporte pas grand-chose à mon sens et l'idée de livre en train de se construire n'est pas si neuve.

Le récit de l’enquête est étayé par les références de notre ex-policier à « Agatha », et par ses discussions avec Brunet à qui il veut faire saisir tout le génie de cette dernière – et surtout celui de son détective fétiche. Comparaisons avec des personnages, parallèle entre la courte disparition de la romancière et celle d’Emilie Brunet, réflexions sur certains de ses romans… tout cela a fini par me lasser, et pourtant j’ai beaucoup de tendresse et de curiosité pour Agatha Christie, dont j’ai essayé de lire toute l’œuvre vers 12-13 ans (j'ai dû finir par me lasser avant de finir).

Antoine Bello a une formidable matière mais il bascule dans un exercice de style un peu décevant. La lecture est rapide, fluide, stimulante mais un tel hommage mériterait une véritable chute.
Un moment agréable donc, mais au final, j’ai surtout eu envie de me replonger dans d’autres livres : bien entendu des Agatha Christie, mais aussi l’ébouriffant Qui a tué Roger Ackroyd ? de Pierre Bayard et un précédent roman d’Antoine Bello, formidable, Les Falsificateurs


Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, Antoine Bello (Gallimard, 254 pages, 2010)

mercredi 6 octobre 2010

Cul-de-sac - Douglas Kennedy


Ce premier roman de Douglas Kennedy est souvent cité par les amateurs de polar : ce qui m’a toujours interpelée étant donné ses livres ultérieurs… Il faut avouer que l’étiquette « best-seller » (surtout sentimental) me rebute plus qu’elle ne m’attire. Et pourtant, j'en ai lu quelques uns : et, si certains étaient bien trop sirupeux à mon goût, de Kennedy, j’ai apprécié La poursuite du bonheur. La curiosité a donc fini par l’emporter et je me suis lancée dans Cul-de-sac

Tombé par hasard sur une vieille carte de l’Australie chez un bouquiniste, Nick, un journaliste américain, décide sur un coup de tête de tout plaquer pour découvrir cet immense pays. Quarantenaire sans grande ambition ni carrière, rien ne le retient vraiment et il s'envole rapidement pour Darwin.
Tout démarre comme un road-trip alcoolisé, nous entraînant de bar en bar dans la chaleur suffocante de cette ville-frontière.
Cul-de-sac a d’abord du mal à trouver son rythme et on s’ennuie un peu pendant que Nick tente de s’acclimater à ce nouvel univers et cherche un moyen de locomotion.
Il dégote enfin un vieux combi Volkswagen et entreprend sa traversée du nord au sud, à travers des milliers de kilomètres de déserts interminables et quasiment vides de toute âme humaine.
Sauf que, grande leçon du roman : ne pas rouler la nuit dans le désert ! Ou c'est prend le risque de tomber sur un kangourou (k'rou avec l'accent), et c’est ainsi que Nick rencontre Angie avec qui il continue sa route…
Et là, je ne peux décemment pas vous en raconter plus ! Car c’est enlever tout le sel de ce roman que de gâcher l’effet de surprise.

Douglas Kennedy est davantage en verve que dans les autres textes que j’ai pu lire de lui – moins bridé et consensuel peut-être. Pour mémoire, j'avais en main la première traduction de The Dead Heart : la nouvelle, sous le titre Piège nuptial, apporte-t-elle une lecture réellement différente ?
En tout cas, Cul-de-sac est agréable à lire, souvent drôle, presque toujours absurde, et parfois triste. Un polar, en revanche, ce serait beaucoup dire, même s’il y a une forme de suspense.
Une découverte intéressante donc, et une lecture qui fut parfaite sur la plage !


Cul-de-sac, Douglas Kennedy (Folio, 290 pages, 2006)
Traduit du l’anglais (États-Unis) par Catherine Cheval
Cette édition est épuisée mais une nouvelle traduction (par Bernard Cohen) a paru sous le titre Piège nuptial (Belfond, 272 pages, 2008 / Pocket, 256 pages, 2009)


jeudi 9 septembre 2010

Les années - Annie Ernaux


Dans Les années, Annie Ernaux continue son entreprise de création autour de sa propre vie (je ne veux pas parler ici d'autofiction, car elle ne prétend jamais à la fiction), et entreprend de balayer l’ensemble des années vécues. De l’après-guerre à nos jours, en partant de photos éparses, elle évoque son enfance, son adolescence, les différents tournants de l’âge adulte – et les innombrables images, odeurs et impressions qui y sont liées.
J’avais apprécié Une femme (évoquant sa mère) et La place (son père) : ces courtes évocations m'avaient certainement d'autant plus marquées que, étant alors adolescente, j'avais presque « découvert » le sain et nécessaire recul sur ses parents que l'on pouvait avoir avec l'âge. Le projet bien plus ample de ce récit m'intéressait et m'enthousiasmait fortement. Ma lecture a été malheureusement très décevante : problèmes avec l’œuvre en elle-même ? ou déficit de compréhension dû à l’écart générationnel ?

Pour commencer, ma lecture a été perturbé par l’emploi du pronom indéfini « on », destiné probablement à inclure le lecteur dans le récit, à dépersonnaliser cette plongée dans l'intime. Cette construction ne fonctionne pas à mon sens et devient même exaspérante car bien trop pesante et artificielle. Certes, il s’agit de raconter « ces » années et cette génération née pendant la guerre qui a raté mai 68, mais cela aurait été bien plus intéressant si Annie Ernaux avait assumé pleinement la dimension biographique sans chercher cette pseudo mise à distance et/ou généralisation. Et si tel n'était pas le but, je me contenterais de dire que je n'ai pas adhéré à ce choix stylistique !

L’aspect « petite et grande histoire » est clairement ce qui m’a incité à continuer ma lecture (car je dois avouer avoir souvent été tentée d’abandonner). En effet, le texte étant au final assez court – au vu du projet de retracer soixante ans de vie et d’époques –, il donne lieu à de longues énumérations de souvenirs, tantôt savoureux, attendrissants ou édifiants : le chocolat Cardon, l'apparition du Frigidaire, les collants à la place des bas, les premiers baisers, les événements historiques qui ne sont que décor…
Ces passages sont passionnants, surtout quand on est née au début des années 1980 comme moi ! Mais la description devient régulièrement liste interminable : parfois hypnotique, plus souvent catalogue.

Au final, le rythme m’a profondément dérangée, au mieux lassée, et j’ai fini ce livre en diagonale, à toute vitesse.
Je suis donc incapable de le conseiller mais, comme je l’évoquais au début de ce billet, peut-être est-ce une question d’âge ? Une lassitude face à cette accumulation de souvenirs et malheureusement de regrets ? Les nombreuses critiques élogieuses me font penser qu’il doit y avoir de cela...


Les années, Annie Ernaux (Gallimard, 256 pages, 2008 / Folio, 256 pages, 2010)