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lundi 9 janvier 2012

Syster - Bengt Ohlsson


S’il fallait montrer comment une écriture, un rythme peuvent transcender une thématique somme toute relativement banale, Syster, avec son intrigue jamais résolue, serait un parfait exemple. Miriam, une fillette d’une douzaine d’années, disparaît un jour au retour de l’école. Toute la particularité du roman – sa focale – se lit dès la première phrase : « La sœur de Marjorie disparut un vendredi, début mai. » Ce qu’il a pu advenir de Myriam ne compte pas véritablement au final, c’est le ressenti de sa jeune sœur, Marjorie, dont il est question. Marjorie qui ne semble pas réaliser l’ampleur de l’événement, Marjorie qui est comme soulagée d’être libérée de cette grande sœur si parfaite et aimée de tous, Marjorie qui espère recevoir plus d’attention…

Les parents, bouleversés évidemment, cherchent sans relâche leur aînée. Pour simplifier leur tâche et éloigner la petite de toute cette tension, ils l’envoient chez sa tante Isle, une femme vieillissante et « originale » comme veut l’expression polie. Marjorie est d’abord furieuse d’être ainsi tenue à l’écart, chez cette tante qu’elle connaît à peine, perdue dans cette maison isolée sur la lande. Souvent livrée à elle-même – sa tante entend la laisser tranquille –, Marjorie découvre les paysages avoisinants, la mer si vaste, les livres et les histoires… Et un dialogue quasi muet se noue avec Isle. Marjorie apprend à décoder sa propre réaction, à comprendre qu’avoir été jalouse de Miriam ne fait pas d’elle un monstre, que son soulagement ne signifie pas qu’elle lui souhaite le pire… Que tous les sentiments peuvent se mêler, et ce, quel que soit l’âge.

Pas à pas, Marjorie grandit, se débrouille avec ses contradictions et ses remords. Et Isle la mène sur ce chemin avec délicatesse mais fermeté. À l’image du style de ce roman : limpide, fluide, mais âpre quand il le faut. Bengt Ohlsson parvient avec brio à nous faire imaginer Marjorie, à construire un récit d’enfant qui ne soit pas mièvre. Syster se déroule avec lenteur, mais intensité, et nous enveloppe dans cette atmosphère particulière jusqu’à la dernière page.

Pour autant, Syster fait partie de ces coups de cœur qui, je le sais, ne feront pas l’unanimité : il s'y passe au final peu de choses, l’intensité réside dans les intentions, les atmosphères, les non-dits… Une vraie belle découverte.


Syster, Bengt Ohlsson (Phébus, 304 pages, 2011)
Traduit du suédois par Anne Karila


jeudi 17 novembre 2011

Un été sans les hommes - Siri Hustvedt


Les deux précédents romans de Siri Hustvedt, Élégie pour un Américain et Tout ce que j’aimais, m’ont enthousiasmé – mais sans me convaincre totalement. Elle y fait parler des hommes ; c’est probablement pourquoi je n’ai pu m’empêcher de chercher les éléments d’autofiction dans cet Un été sans les hommes emmené par une narratrice. Je le précise car mes impressions de lecture n’y sont pas étrangères. Même si, on le sait, là n’est pas l’important.

Mia, poétesse new-yorkaise dans la cinquantaine, disjoncte littéralement quand elle apprend que son mari Boris, neuroscientifique réputé, entretient une liaison avec une jeune française – ce qui a son importance car la caricature de la femme légère ne nous est pas épargnée.
Après un bref séjour à l’hôpital psychiatrique, qui l'effraie plus qu'il ne la calme, Mia part se réfugier dans son Minnesota natal. Elle y loue une petite maison, non loin du centre pour personnes âgées où vit sa mère, octogénaire, entourée de ses pétillantes et vieillissantes amies. Pour occuper cet été de « retraite », elle entreprend de donner des cours d’écriture – suivi par six jeunes adolescentes.

Certes quelques stéréotypes, on l’a déjà mentionné, et un indéniable – et exaspérant – côté Madame-je-sais-tout qui a tellement pris de hauteur, de recul, par rapport à son frétillant et volage mari. Sinon, comme l’indique le titre, une histoire de femmes (et de filles) d’âges et de « niveaux » de maturité différents : les préadolescentes influençables, si cruelles sans le comprendre, parfois insupportables mais aussi très attendrissantes ; la jeune fille devenant femme qu’incarne Daisy, la fille comédienne de Mia et Boris, venue rendre visite à sa mère ; la trentenaire, Lola, voisine estivale de Mia, qui s’ennuie seule avec ses enfants ; Mia elle-même, la femme mûre qui fait un point sur sa vie ; et tout un panel de femmes âgées qui souvent (re)découvrent la liberté à ce stade de leur existence… L’enfance aussi avec les enfants de Lola ; et la mort rôdant autour de ces drôles de vieilles dames, qui en ont fait une sorte de compagne pour vivre avec joie leurs dernières années.
Ce sont d’ailleurs les personnages les plus savoureux : je vous laisse découvrir les ouvrages au crochet de l’une d’entre elles…

À travers ces portraits lucides, la narratrice dépeint avec finesse les différents stades de la vie d’une femme. Dommage qu’elle traite un peu trop d’elle-même : les aspects autocentrés sont lassants voire irritants, les quelques dessins sans aucun intérêt…
Un été sans les hommes aurait gagné à davantage s’appesantir sur la galaxie de femmes qui entoure Mia, et moins sur cette dernière, mais le roman reste très plaisant et offre une vision intelligente et perspicace de la gent féminine…
Je ne connais que partiellement l’œuvre de Siri Hustvedt, mais je conseillerais davantage Tout ce que j’aimais pour la découvrir.


Un été sans les hommes, Siri Hustvedt (Actes Sud, 220 pages, 2011)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Le Bœuf


samedi 8 octobre 2011

Allmen et les libellules - Martin Suter


Comme le montrent certains de mes posts (Small world, Un ami parfait, Le cuisinier), les romans de Martin Suter sont une de mes marottes littéraires. J’ai donc ouvert avec bonheur son dernier opus, paru au printemps, Allmen et les libellules. C’est un court récit assez différent des précédents : la quatrième de couverture nous apprend en effet qu’Allmen et les libellules est pensé comme le début d’une série mettant en scène un duo d’enquêteurs. Après Poirot/Hastings, Holmes/Watson, voici donc Johann Friedrich von Allmen – sir John – et Carlos…

Tel un écho désargenté du Dernier des Weynfeldt, autre héros de Suter, sir John est un véritable gentleman. Issu d’une famille fortunée, il a toujours été très dispendieux, n’a bien entendu jamais travaillé pour cela, et entend bien maintenir son train de vie – ce, malgré la fonte de son patrimoine. Il accumule les ardoises, qu’on lui permet pour son passif, s’en sort par des pirouettes : il vend discrètement ses possessions les moins visibles, même sa somptueuse villa dont il a négocié l’usufruit, sous-loue sa seconde place à l’opéra, etc. Mais cela ne suffit pas et il se met à dérober des pièces de collection chez ses connaissances ou rencontres d’un soir.
Malheureusement, il vole la mauvaise personne : le richissime père de Jojo, femme à la beauté fanée avec qui il vient de passer la nuit. Et surtout, le mauvais objet, une sublime coupe art déco, ornée de libellules, disparue du marché il y a des années… Sir John se retrouve alors impliqué dans une histoire qui le dépasse, plus dangereuse que prévue mais aussi bien plus rentable. Il s’improvise tel un étrange Arsène Lupin, cambrioleur mais aussi enquêteur et maître-chanteur, accompagné pour cela par Carlos, son très fidèle majordome guatémaltèque, bien plus malin que son maître en de nombreuses occasions. Leurs échanges, tantôt en espagnol basique, tantôt par des gestes ou attitudes expressives, font toute la saveur du roman. Les deux hommes sont très attachés malgré la formalité de leurs rapports – ce qui explique l’évolution de leur « partenariat ».

Péripéties et ruses diverses se succèdent dans un style respectueux du genre : un peu suranné, cocasse mais raffiné (en un mot, très british)… L’intrigue ne compte pas véritablement – elle est d’ailleurs assez embrouillée, reconnaissons-le –, le charme d’Allmen et les libellules est dans l’atmosphère, le rythme, le style toujours aussi délié et précis, l’humour…

Une très agréable friandise pour les amateurs du genre et/ou de l’auteur. En attendant le deuxième pour juger la série Allmen/Carlos, pour découvrir Martin Suter je conseillerais plutôt Small world ou Le diable de Milan.


Allmen et les libellules, Martin Suter (Christian Bourgois, 168 pages, 2011)
Traduit de l’allemand (Suisse) par Olivier Mannoni

mardi 27 septembre 2011

Marée noire - Attica Locke


Les critiques élogieuses et la quatrième de couverture font espérer le meilleur, « l’arrivée fracassante d’un nouveau talent » comme le proclame l’éditeur. Et la comparaison avec Dennis Lehane et George Pelecanos n’est pas pour déplaire – même si, avouons-le, je n'ai jamais été emportée par Pelecanos, indubitablement un grand auteur de romans noirs, à la plume fine et aux thématiques (notamment les questions raciales) passionnantes, mais ses livres me paraissent désespérément lents, voire ennuyeux pour certains.
Avec Marée noire, Attica Locke s’attaque elle aussi aux problèmes raciaux. Nous sommes en plein sud des États-Unis, à Houston, en 1981 : Jay Porter, petit avocat noir – la couleur est ici une donnée non négligeable –, essaye tant bien que mal de faire fonctionner son petit cabinet. Affaires médiocres, clients insolvables… la tendance n’est pas bonne et le désœuvrement pointe.

Un soir qu’il organise un dîner romantique pour l’anniversaire de son épouse Bernie, un coup de feu retentit à proximité et, quelques minutes après, Jay se retrouve à sauver une jeune femme de la noyade. Apeurée, en état de choc, elle présente des traces de violences mais ne dit pas un mot. Jay la dépose devant un commissariat – et non à l’intérieur comme l’y engage Bernie : c’est que notre homme a déjà eu des démêlées avec la justice dans les années 70, alors qu’il militait pour les droits civiques (et frayait avec les plus radicaux). Ce passé activiste nous est révélé par bribes tout au long du récit, et l’on comprend peu à peu l'histoire de Jay, la paranoïa qui l’habite depuis et dicte ses gestes, ses liens surprenants avec la nouvelle maire de Houston… Qui plus est, comme il le souligne à son épouse, un Noir prendrait trop de risque à rester près d’une Blanche tout juste agressée. Les vieux schémas ont la vie dure dans le Texas des années 80.
Quand Jay découvre à la lecture du journal qu’un homme a été tué ce fameux soir dans le bayou, il entreprend de retrouver la jeune femme – de victime, devenue suspecte – et de faire la lumière sur cette affaire.

En parallèle, à la demande de son beau-père, le jeune avocat prête main-forte aux « frères » dockers syndiqués, et plus particulièrement à l’un d’eux, tabassé alors qu’il sortait d’une réunion préparant la grève. Ville portuaire en plein boom économique, Houston est totalement dépendante de son port – et de ses employés qui assurent les livraisons, chargements, etc. La maire et les grandes entreprises veulent à tout prix éviter cette grève, et certains syndiqués blancs également. Car l’union syndicale n’est que façade : valable sur le papier mais encore éloignée de la réalité où les Noirs sont moins payés, jamais promus…
Les deux histoires viennent s’imbriquer quand Jay commence à toucher du doigt un véritable complot impliquant le groupe pétrolier dominant la région. Et la Marée noire prend ici tout son sens.

Le livre est passionnant : on y parle de l’activisme des années 70, des Black Panthers, des étudiants infiltrés par le FBI, des multiples abus des autorités, de la persistance des discriminations dix ans après (que l’on pourrait parfaitement imaginer encore plus tard), des proclamations de papier sans incidence sur le réel… Passionnant donc, mais aussi insuffisamment construit et très fouillis : on s'égare dans les ramifications du récit, l’intrigue est tirée par les cheveux, on manque parfois de détails tandis qu’ils abondent plus loin. Marée noire est un roman très ambitieux, sûrement un peu trop : à vouloir dresser un tableau complet, à envisager de nombreuses problématiques (sous des angles tout aussi nombreux), Attica Locke m’a perdue en route…
En conclusion : une romancière à suivre et un texte à conseiller sans hésitation aux amateurs de George Pelecanos car, oui, la comparaison est pertinente.


Marée noire, Attica Locke (Gallimard, 450 pages, 2011)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude


samedi 27 août 2011

Mauvais genre - Naomi Alderman


James vit dans une belle villa au fond de la campagne italienne avec Mark – ami, amant, proche, employeur, on ne sait trop… Sur ce point, Mauvais genre s’ouvre sur une scène énigmatique, mettant en évidence la lassitude de James quant à leur style de vie, aux fêtes débridées, aux jeunes éphèbes qui se succèdent et autres humiliations. Lassitude qui lui fait, comme souvent, se remémorer sa jeunesse, sa rencontre avec Mark, le lien étrange qui les unit depuis : et ici, démarre véritablement le roman.

Issu d’un milieu populaire, James Stieff entame avec fierté ses études à Oxford. Il est rapidement confronté au pendant inévitable de l’élitisme : lui, si brillant dans son lycée moyen, se retrouve à la traîne et peine à se maintenir au niveau minimum exigé. D’autant qu’une blessure au genou vient le déstabiliser dès le premier semestre. Sans véritables amis et ne pouvant même plus pratiquer son exutoire favori, le footing, il se noie progressivement dans ses difficultés scolaires. Difficultés que ses parents attribuent sans hésiter au manque de travail et sanctionnent financièrement en lui coupant les vivres.
Assez solitaire, James finit par se lier avec Jessica et sa surprenante bande d’amis, Franny, Simon et Mark, le meneur. Ce dernier, un riche héritier fantasque et déconnecté de la réalité, propose rapidement à tout ce petit monde d’emménager dans son immense propriété quasi vide. Une étrange communauté se met alors en place, évidemment financée, mais aussi inspirée et impulsée, par Mark.

James et Jess s’installent rapidement dans une relation, assez dénuée de passion et même un peu molle. James en est l’élément le plus accroché ; et pourtant, un lien étrange se noue avec Mark – fascination discrète, dépendance financière, attirance pour l’homosexualité sans complexe de Mark, connivence quand la mère de ce dernier débarque… ?

Mauvais genre est bien entendu un roman d'apprentissage : premiers échecs, relations amoureuses, soirées étudiantes, discussions exaltées, examens bâclés ou potassés pendant des nuits, etc.
À maints égards, il m’a fait penser au formidable premier roman de Donna Tartt, Le Maître des illusions, en bien mois glauque, mais aussi moins réussi selon moi. En effet, Mauvais genre souffre de plusieurs défauts : le récit démarre lentement, s’enlise souvent, se concentre trop sur James.

Si sa lecture n’est pas indispensable, elle n’en est pas moins agréable et intéressante car Naomi Alderman évoque avec finesse un monde si souvent cité à titre d’exemple et en dépeint les faux-semblants, les aspects troubles et les contreparties douloureuses…


Mauvais genre, Naomi Alderman (L’Olivier, 384 pages, 2011)
Traduit de l’anglais par Hélène Papot

samedi 20 août 2011

C'est moi qui éteins les lumières - Zoyâ Pirzâd


C'est moi qui éteins les lumières est le premier roman (étrangement, traduit que maintenant en français) de Zoyâ Pirzâd, nouvelliste (Le goût âpre des kakis, Comme tous les après-midi, Un jour avant Pâques) et romancière (On s’y fera) iranienne. Ses livres provoquent chez moi des impressions mitigées : bien que très plaisante, leur lecture ne me convainc jamais totalement. Certes les textes sont pleins de finesse, les personnages contrastés et intéressants, les situations tantôt cocasses tantôt ardues, mais il manque un je-ne-sais-quoi à l’ensemble – une posture plus engagée ? des chutes plus tranchées ? davantage d’atypique ? Manque de profondeur ou limites qu’il faut s’imposer en Iran ? Je ne sais trop. Mais, quoi qu’il en soit, je suis toujours curieuse de lire les ouvrages de Zoyâ Pirzâd.

« C'est moi qui éteins les lumières ? » est la traditionnelle question que Clarisse et son mari Artosh se posent chaque soir. Clarisse mène une vie tranquille et ordonnée à Abadan : femme au foyer, ses journées sont rythmées par la préparation des repas, le goûter de ses trois enfants (les deux petites jumelles Arsineh et Armineh, leur frère adolescent Armen), le ménage bien réglé, et les visites quasi quotidiennes de sa mère et de sa sœur Alice, à la recherche d’un bon parti.
Son équilibre est perturbé quand emménagent de nouveaux voisins venus de Téhéran, les Simonian : la jeune Emilie apparemment si effacée, son père Emile, poète dans l’âme mais ingénieur comme tous les hommes de ce quartier réservé à la Société du pétrole , la vieille et minuscule Mme Simonian qui mène ces deux générations à la baguette…

Emilie est immédiatement adoptée par les jumelles comme nouvelle camarade de jeu, mais elle est bien moins sage qu’il n’y paraît et ferait faire n’importe quoi à Armen qu’elle a subjugué.
Quant à Mme Simonian, cette grande dame arménienne à la fortune lointaine, est insaisissable : autoritaire et pédante le plus souvent, elle est capable d’être douce et se confie même à Clarisse qu’elle a pris en affection – son grand amour contrarié, les difficultés avec son mari, son fils si lunaire et rêveur…
Et c’est vrai qu’Emile est à part : éminemment doux, passionné de littérature, avide d’échanges, attentionné, inconscient… il fait vaciller Clarisse dans ses certitudes et ses habitudes.
Tandis que la vie continue (Alice rencontre enfin quelqu’un, Armen grandit, etc.), Clarisse se surprend elle-même, s’interroge – sur son quotidien si monotone, sa paradoxale solitude, le manque de véritables échanges avec son mari, son appartenance à la communauté arménienne et les devoirs qui en découlent, son absence d’engagement politique… la vacuité de son existence, en résumé.

Comme à son habitude, Zoyâ Pirzâd dépeint ses personnages avec subtilité et traite ces nombreuses thématiques avec finesse, effleurant les choses, les évoquant, les suggérant… Et, comme d’habitude, cette discrétion passionne autant qu’elle lasse, voire exaspère.
C'est moi qui éteins les lumières n’en est pas moins un très beau roman, dans mon souvenir le premier de Zoyâ Pirzâd à se pencher autant sur la question arménienne en Iran.


C'est moi qui éteins les lumières, Zoyâ Pirzâd (Zulma, 352 pages, 2011)
Traduit du persan (Iran) par Christophe Bala



vendredi 22 juillet 2011

La Fête du siècle - Niccolò Ammaniti


Comme j’ai déjà pu l’écrire ici, j’aime beaucoup les romans de Niccolò Ammaniti : toutefois Comme Dieu le veut m’avait un peu moins enthousiasmé que les précédents, et la quatrième de couverture de La Fête du siècle me faisait redouter le pire. Au final, une impression très étrange : entre scepticisme et déception, tout en reconnaissant d’indéniables qualités au projet critique et satirique de La Fête du siècle.

J’étais plus que dubitative à la lecture des premières pages mettant en scène Mantos, la trentaine avancée, looser fini, leader des Enragés d’Abaddon, une ridicule secte sataniste (4 membres, lui inclus) : un moyen comme un autre pour lui d’exprimer toute la frustration accumulée, dans sa vie privée (avec une bimbo aigrie pour épouse, aussi allumeuse que frigide), à son ennuyeux travail au magasin de meubles tyroliens de son terrible beau-père, avec ses enfants, etc.
Les chapitres suivant nous dépeignent Fabrizio Ciba, écrivain en vogue après un premier roman au succès phénoménal – mais, en vérité, plus célèbre pour son émission télé et son physique de bellâtre que pour ses écrits. En panne d’inspiration, pathologiquement égocentrique, il oscille constamment entre ses aspirations littéraires, l’envie d’écrire un grand roman social, et l’attrait de la facilité – dans tous les domaines.

Ces deux opposés constituent les « axes » narratifs du roman et, autour d’eux, défilent des personnages plus cocasses les uns que les autres : un chirurgien esthétique à moitié camé dont le métier n’est qu’une machine à billets ; une actrice sublime mais stupide, qui court les plateaux télé et autres reality shows ; une chanteuse pop, ancienne égérie de hard rock reconvertie dans la mièvrerie et l’humanitaire ; des éditeurs retors pour qui seul le profit signifie quelque chose ; un prix Nobel égaré dans un monde de brutes… Et un milliardaire parti de rien cherchant à faire oublier son image de parvenu : il décide ainsi d’organiser La Fête du siècle. Une soirée VIP monumentale dont le thème sera le safari : apéritif sous la tente (mais quelle tente !), chasse aux lions et autres curiosités dans un ancien parc romain acheté et aménagé pour l’occasion, concert de la fameuse pop star du moment, spaghetti party de luxe, festival pyrotechnique et tutti quanti !

Ammaniti multiple les personnages ridicules – en définitive, pas si outrés que cela, par rapport à ce que notre société offre aujourd’hui. Le romancier choisit le grotesque pour dénoncer les excès et les absurdités de notre époque, et plus particulièrement de la société italienne contemporaine : le règne de la superficialité et de l’apparence, la vulgarité qui s’infiltre partout, l’argent roi, l’hypocrisie et le paraître, la corruption, etc.
Mais, à trop vouloir prolonger son propos, il fait basculer le récit dans un absurde assez ridicule ; les derniers chapitres deviennent du grand n’importe quoi, perdant de vue le sens et l’objectif critique de La Fête du siècle, jusqu’à un final apocalyptique risible.
C’est dommage, car, avec son style habituel, Ammaniti avait presque réussi à transformer l’essai, à faire de cette farce grotesque une comédie sociale satirique. Presque.


La Fête du siècle, Niccolò Ammaniti (Robert Laffont, 396 pages, 2011)
Traduit de l’italien par Myriem Bouzaher


jeudi 7 juillet 2011

La gifle - Christos Tsiolkas


Lors d’un barbecue où Hector et Aisha réunissent leurs proches, le cousin d’Hector, Harry, exaspéré, gifle le petit Hugo, fils d’un couple d’amis – Gary et Rosie. Et « là, c’est le drame » : Rosie fait un scandale, appelle la police, porte plainte… Chacun prend partie et la petite fête tourne rapidement vinaigre.
Le début du roman, son titre bien entendu et la quatrième de couverture me faisaient redouter que le récit soit totalement centré autour de la fameuse gifle ; mais heureusement ce n’est pas le cas. Il s’agit davantage d’un fil conducteur, d’un liant, mais pas du cœur de ce très bon roman choral.

Tout en suivant l’évolution de cette « terrible » affaire, La gifle s’attarde tour à tour sur une série de personnages : Hector, le beau trentenaire d’origine grecque ; Aisha, sa sublime épouse d’origine indienne, mère de leurs deux enfants, avec qui la relation est tendue ; Connie, adolescente mal dans sa peau (un euphémisme ?), débarquée d’Angleterre depuis la mort de son père, tiraillée entre son attirance pour Hector et son amitié pour Aisha ; Anouk, la flamboyante scénariste amie d’Aisha, femme libérée mais si seule ; Harry, le coléreux cousin, nouveau riche beauf, qui navigue allègrement entre sa femme et sa maîtresse ; Rosie, l’autre amie de toujours d’Aisha, jeune fille perdue devenue néo-hippie exaspérante – entre autres perles, elle allaite toujours Hugo, six ans… ; son mari, Gary, artiste provocateur par le passé mais aujourd’hui triste alcoolique soumis à sa femme ; Manolis et Koula, les parents d’Hector, vieux réacs se prenant le bec constamment – mais si touchants quand ils se souviennent de leur jeunesse et de leurs premières années en Australie ; Richie, le meilleur ami de Connie qui découvre son homosexualité pendant cette dernière année de lycée…

Christos Tsiolkas propose une très riche galerie de portraits, des individualités tranchées, finement dépeintes même lorsqu’on frôle la caricature. Le romancier fait preuve ici d’un joli talent en parvenant à adopter dans chaque chapitre le point de vue du personnage phare : on se surprend à mieux comprendre chacun successivement, voire à abonder dans son sens, à compatir avec celui qui vient de nous irriter, à plaindre le mari trompeur mais au final trompé…
Cette satanée gifle ennuie quand même un peu – les disputes sans fin sur porter ou pas la main sur un enfant sont lassantes et saugrenues vu la situation –, mais il s’agit de montrer la variété d'avis en ce domaine et, pour sûr, de donner un aperçu de certaines dérives.

En variant l’âge, le sexe, l’origine – aspect ici très important –, la classe sociale, Christos Tsiolkas offre le kaléidoscope d’une Australie composite et des personnages globalement attachants. Il parvient ainsi à évoquer des thématiques à la fois individuelles – la confiance en soi, le mal-être, les choix personnels compliqués, etc. – et sociétales – le racisme, la place de la religion, la question de l’intégration, les difficultés économiques, la judiciarisation, etc.
En définitive, La gifle est tout autant un page turner qu’un roman passionnant.



La gifle, Christos Tsiolkas (Belfond, 480 pages, 2011)
Traduit de l'anglais (Australie) par Jean-Luc Piningre


vendredi 1 juillet 2011

Crimes - Ferdinand von Schirach


Crimes est le premier ouvrage de Ferdinand von Schirach, un ténor du barreau allemand. S’inspirant de cas réels, il y injecte – ou pas ? – une dose de fiction et entend plonger dans le monstrueux que son métier d’avocat lui fait côtoyer au quotidien. Ces onze nouvelles portent chacune sur un crime, des circonstances et un suspect.

La quasi-totalité des onze récits est chargée d’empathie et les portraits sont tout en nuances : ces criminels sont rarement « ordinaires », mais plutôt « sympathiques » – très intelligents, dotés de circonstances atténuantes édifiantes, sempiternelles victimes… Telle cette jeune fille abrégeant les souffrances de son frère gravement handicapé suite à un accident, ou encore ce vieil homme finissant par assassiner son épouse acariâtre après quarante ans de calvaire journalier, l’adolescent instable psychologiquement présumé coupable quand une camarade disparaît…
D’autres histoires sont davantage teintées d’ironie voire d’humour : comme les deux voyous ayant la mauvaise idée de cambrioler Tanata, et de lui dérober une tasse centenaire, s’attirant les foudres de ce personnage intraitable au calme pourtant inébranlable.
Aspect intéressant, le narrateur n’est pas omniscient : ainsi on ne connaîtra jamais l’identité de l’homme mutique (mais raffiné) ayant implacablement mis au tapis deux petites frappes qui essayaient de l’agresser sur un quai.

La lecture est extrêmement plaisante. Néanmoins, tout du long, je ne me suis pas départie d’une certaine gêne, difficile à identifier. Est-ce à cause de l’indulgence ressentie pour ces personnages complexes, très humains, mais qui n’en ont pas moins commis un crime, parfois très violent ? Ou est-ce l’idée d’être potentiellement fasciné par ces récits, tel un voyeur adepte des faits divers, une sorte de « Pierre Bellemare littéraire » (oui, je le confesse, lors de longues vacances chez mes grands-parents, et après avoir épuisé le stock d’Agatha Christie, l’adolescente que j’étais a découvert ce monument du mauvais goût, et l’addiction malsaine qu’il pouvait déclencher !). Ou encore est-ce tout simplement de plonger dans un univers si glauque ?

Mais en définitive, le style épuré, quasi clinique, la finesse psychologique, l’absence d’artifices narratifs et de pseudo-suspense font de Crimes un véritable objet littéraire que j’ai lu d’une traite.
Un très bon roman, mais peut-être un auteur dont on attendra le second livre pour confirmer le talent – en espérant qu’il saura renouveler cette approche quelque peu « professionnelle ».


Crimes, Ferdinand von Schirach (Gallimard, 220 pages, 2011)
Traduit de l'allemand par Pierre Malherbet


mardi 28 juin 2011

D'acier - Silvia Avallone


Anna et Francesca ont treize ans, bientôt quatorze. Plein été à Piombino et vacances désœuvrées dans cette cité ouvrière face à l’île d’Elbe, bien loin de la Toscane qui fait rêver les touristes.
Elles sont amies « depuis toujours », vont à la même école, vivent dans la même sinistre barre d’immeuble qui, au moins, surplombe la plage. Mais une plage désolée, à l’image de la ville, des ouvriers dépendants de la Lucchini, l’aciérie locale : les riches et les touristes ne s’y arrêtent pas ; non, eux prennent le bateau pour l’Elbe.

Dès les premières pages qui présentent Enrico, le père de Francesca, épiant sa fille depuis son balcon, jaloux de ce corps en pleine éclosion, on entrevoit toute la laideur de leur univers.
Et c’est effectivement un aréopage de personnages sinistres ou défaits qui entoure les deux adolescentes : Enrico, emmuré dans sa folie, bat sa femme Rosa et tyrannise Francesca ; Rosa mariée trop jeune à un garçon alors charmeur n’imagine plus se sortir de ce marasme ; Arturo, le père d’Anna, enchaîne petits boulots et coups fumeux ; sa femme Sandra se veut libre, forte, lit le journal et distribue des tracts pour Rifondazione communista, mais n’a au final pas le courage de partir. Quant à leur fils, Alessio, le beau grand frère d’Anna, il travaille bien entendu à la Lucchini, vend du cuivre en douce, chante les louanges de Silvio Berlusconi et prend doucement le chemin emprunté par les hommes de Piombino : la misère relative, les enfants venus trop tôt, l’ennui, les virées au miteux bar à strip-tease le Gilda, la violence…

Mais Anna et Francesca ont treize ans et sortent de l’enfance avec envie et violence. Elles sont belles comme pas permis, jouent aux vamps, découvrent leur formidable pouvoir de séduction et jouissent de chaque petit moment volé. Et surtout, elles rêvent : Francesca si sublime sera miss Italie, Anna si brillante sera médecin, ou écrivain, ou encore Premier ministre !
L’été, les garçons, le lycée pour l’une et l’enseignement technique pour l’autre, et surtout le trouble de l’éveil des sentiments, viennent les éloigner. Et cette distance subite sera aussi dure que leur amitié était passionnée, fusionnelle.

D’acier est terriblement réaliste sur l’Italie contemporaine, sa pauvreté grandissante, le règne du vulgaire et de l’apparence ; mais c’est aussi un roman subtil sur cet âge étrange où tout est possible et où tout paraît pourtant tellement définitif…
En le refermant, je n’étais pas totalement sûre d’avoir aimé : le glauque à chaque page, l’univers bouché, la lassitude généralisée, l’absence d’espoir forment un tout extrêmement pesant, désillusionné… Mais quelques jours ont passé et, malgré les longueurs du récit, c'est la force D’acier dont je me souviens, sa force et sa petite poésie - la flamboyance des adolescentes, passagère mais si sublime, les espoirs encore vivaces -, qui en font un très beau roman.


D'acier, Silvia Avallone (Liana Levi, 400 pages, 2011)
Traduit de l'italien par Françoise Brun


mercredi 15 juin 2011

Le dernier homme bon - A.J. Kazinski


Avouons-le, je n’ai pas pris assez de temps pour choisir les livres qui m’intéressaient dans le cadre de la dernière opération Masse critique de Babelio. La couverture énigmatique du Dernier homme bon l’a bêtement emporté sur la quatrième un peu racoleuse qui faisait pressentir un polar « abracadabrantesque ». Et, bien évidemment, c’est celui-ci que le hasard m’a attribué ! Résultat, en toute honnêteté, j’y allais un peu à reculons.

Les quelques lignes « à l’attention du lecteur » en première page installent l’univers d’emblée : un très court résumé du mythe des trente-six Justes que Dieu aurait mis sur Terre pour veiller sur l’humanité ; et la tenue par les Nation unies d’une conférence sur les expériences de mort imminente… Le roman commence ensuite par le récit d’une expérience visant à « vérifier » les témoignages à ce propos : dans un hôpital danois, on installe dans plusieurs chambres des Urgences une photo sur une étagère placée juste en dessous du plafond… Seul le patient ayant réellement vécu une « mort imminente », et dont l’esprit s’est donc élevé, pourra la voir… CQFD !
Là, je me demande de nouveau ce qui m’a pris un choisissant ce livre !
Se succèdent alors de brefs chapitres sans aucun lien apparent : la mort d’un moine dans un temple en Chine, un fonctionnaire de l’ambassade d’Italie dans un hôpital de Bombay, un policier vénitien enquêtant dans le dos de sa hiérarchie, l’intervention d’un négociateur (qui s’avérera être notre héros, Niels Bentzon) à Copenhague, les états d’âmes d’un terroriste sur le point de prendre l’avion (vous avez dit cliché ?)…

En temps normal, c’est le moment où j’aurais abandonné Le dernier homme bon. Mais je me suis engagée à le lire dans le cadre de Masse critique et je m’accroche !
L’intrigue met du temps à s’imbriquer et à démarrer mais, au bout d’une petite centaine de pages, elle finit par fonctionner relativement bien. Complètement mystique – on l’aura compris – et peu plausible, elle a le mérite de nous faire tourner les pages avec curiosité pendant les deux tiers du livre.
Mais cette histoire des trente-six justes qu’une sorte de malédiction divine (ou diabolique, on ne sait trop) décimerait est vraiment peu convaincante. Tout comme le contexte de conférence mondiale sur le réchauffement climatique qui n’est au final qu’un décor – mais quasiment absent, c’est le comble !
N’en dévoilons pas plus, cela ruinerait le suspense. Ajoutons simplement qu’il est dommage que les coïncidences soient incessantes et peu crédibles, tout comme les détails sans intérêt (ou mal explicités peut-être).

Clairement, je ne suis pas le public pour ce genre mysticico-divin : les amateurs du genre apprécieront peut-être ce texte, qui, admettons-le, a le mérite d’être prenant et curieux pendant un certain temps. Mais, en ce qui me concerne, Le dernier homme bon est un polar absurde et un peu allumé : une lecture dont j'aurais pu me passer.


Je remercie néanmoins vivement les éditions JC Lattès et Babelio.


Le dernier homme bon, A.J. Kazinski (JC Lattès, 550 pages, 2011)
Traduit du danois par Frédéric Fourreau



vendredi 10 juin 2011

Les Privilèges - Jonathan Dee


Les Privilèges : ou la réussite fulgurante d’un couple parfait de yuppies – comme on les aurait appelés dans les années quatre-vingts. Un mélange du Bûcher des vanités de Tom Wolfe et de Trente et des poussières de Jay McInerney, mais plongé au XXIe siècle, dans l’univers de Gossip girl.

Le récit débute par le mariage d’Adam et Cynthia, à peine sortis de la fac, encore très jeunes, plus séduisants l’un que l’autre et animés par la certitude que l’avenir leur appartient. Leur duo est en parfaite symbiose mais fort heureusement son côté trop idyllique est contrebalancé par les discordances de leurs familles respectives, la banalité des tensions de ce « jour merveilleux », les frictions entre Cynthia et sa demi-sœur, etc.

De retour de leur voyage de noces, les jeunes mariés s’installent à New York, font des enfants aussi beaux qu’eux – April et Jonas – et gravissent les échelons de la bonne société, attirés bien entendu par les plus hauts sommets. Après un léger passage à vide de Cynthia, quelque peu désœuvrée au départ, quand elle n’est pas encore accaparée par les réunions de bienfaisance et autres comités, leur réussite est éclatante. Ils deviennent le parangon de cette nouvelle classe sociale aux niveaux de vie et aux salaires inimaginables : ces ultra-riches qu’a créé notamment le monde de la finance.
Adam y gagne à proprement parler des fortunes et offre une vie dorée à sa famille : appartements de plus en plus grands et luxueux, vacances 5 étoiles sur des îles paradisiaques, écoles privées de luxe, domestiques… Si la cellule familiale n’est peut-être pas parfaite, leur duo, lui, le reste : toujours amoureux après vingt ans, fidèles…
Mais c’est une vie de papier glacé, et l’inconsistance règne : les journées de Cynthia chargées de rendez-vous mondains sont en fait bien creuses, les amitiés sont futiles, les enfants sont terriblement désœuvrés, chacun à leur manière – April est une adolescente totalement superficielle, que la vie ne questionne absolument pas, Jonas est plus intéressant, plus critique, mais cela semble encore être une afféterie de son âge.

La critique des Privilèges n’est jamais clairement formulée : elle est sous-jacente, dans les paradoxes de cette vie de pauvre petite fille riche. Mais ne l’ai-je pas perçue parce que, moi, je trouve tant d’aspects de leur existence tristement vains voire critiquables (la vacuité des uns et des autres, leurs manœuvres…) ? Car Jonathan Dee reste à distance : il observe avec acuité mais à nous de penser ce que l’on veut. C’est d’ailleurs dommage à mon sens : j’aurais aimé quelque chose de plus évidemment mordant.

Avec ce quatrième roman (le premier traduit en français), Jonathan Dee propose à la fois une peinture fine d’une certaine société qu’il nous appartient de déchiffrer par nous-mêmes et, c’est peut-être là ce qui m’a lassé, l’histoire d’un couple de conte de fées (dont les deux composantes sont insupportables d'ailleurs). Une impression un peu mitigée au final, mais je n’en ai pas moins passé un très bon moment à lire Les Privilèges.


Les Privilèges, Jonathan Dee (Plon, 312 pages, 2011)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Elisabeth Peellaert


vendredi 27 mai 2011

Le Diner - Herman Koch


Paul Lohman, le narrateur, et son frère Serge dînent avec leurs femmes dans un resto chic et branché – chichiteux et hors de prix – d’Amsterdam.
Paul et son épouse Claire y vont à reculons : outre que les deux frères ne sont pas particulièrement proches, Serge est pressenti pour être le futur Premier ministre des Pays-Bas et, dès lors, sortir avec lui devient inévitablement une représentation.
On l’apprend très vite, autre chose leur fait redouter cette rencontre : ils doivent parler de leurs fils respectifs, Michael et Rick, récemment auteurs d’un acte odieux, de pure violence gratuite. La perspective de devoir mettre des mots sur cette situation et la possibilité d’un désaccord sur l’attitude adopter – que l’on ignore au début – crispent les deux couples.

Le roman dure le temps de ce dîner : apéritif, entrée, plat, dessert, digestif et addition. Et c’est le point de vue de Paul qui nous guide : on suit parallèlement une classique – mais mordante – discussion de dîner en ville, l’évolution de la problématique des deux garçons, mais aussi les digressions et souvenirs de Paul, ancien professeur mis à disposition pou avoir tenu des propos déplacés, qui viennent éclairer le tout.

Les remarques sur la bonne société néerlandaise sont savoureuses : vacances en France prétendument « authentiques », politiquement correct de rigueur, triomphe des bons sentiments, etc. Corollaire logique, les considérations morales du narrateur et le débat entre les quatre convives mettent de plus en plus mal à l’aise pour finir par être franchement dérangeants : jusque où aller pour protéger ses enfants ? comment et pourquoi justifier certains actes ? quand l’anti-politiquement correct rafraîchissant devient-il discours nauséabond ?
La première question ne me touche pas : et je me manque peut-être ainsi une dimension fondamentale de l’ouvrage – le parent qui « couvre », sauve, car l’enfant est jeune et ne se rend pas compte de ses actes, ou au contraire celui qui estime que c’est la punition et la compréhension de la gravité de ce qui a été fait qui sauveront l’avenir de cet enfant…

Au départ personnage agréable et fin (bien plus que son frère), Paul se dévoile et devient progressivement antipathique, tout comme sa femme. C’est pour dire : j’ai fini Le Dîner avec une certaine gêne, presque nauséeuse.
Mais le livre n’en est pas moins excellent – et c’est là le tour de force d’Herman Koch : férocement incorrect et critique, il nous questionne sur ce qui se dit et ce qui se fait, sur la morale et ses limites, sur la banalité du mal, sur l’authenticité des convictions de chacun…

Un très bon roman, intéressant, qui se dévore avec malaise mais à toute vitesse !


Le Dîner, Herman Koch (Belfond, 336 pages, 2011)
Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin


dimanche 22 mai 2011

Les imperfectionnistes - Tom Rachman


Les imperfectionnistes, ce sont onze courts récits mettant en scène onze personnages : leur caractère, leurs manies, leur vie personnelle et professionnelle, les richesses et carences de l’une et de l’autre…
Tous sont reliés par un journal jamais nommé, international, de langue et de culture américaines, mais basé à Rome par le caprice de son fondateur Cyrius Ott. De brefs interludes sur ce dernier et sur la genèse de cette improbable publication viennent ponctuer le roman, formant comme un douzième portrait en pointillés.

Courtes nouvelles de qualité, ces portraits incisifs sont autant de chapitres se recoupant, se complétant, s’éclairant les uns les autres – où le héros de l’une devient personnage secondaire de l’autre.
On découvre ainsi successivement : Kathleen Solson, rédactrice en chef impitoyable et carriériste ; Llyod Burko, correspondant parisien dépassé et prêt à tout pour passer un article ; Hardy Benjamin, responsable de l’économie, désespérément en quête d’affection ; Herman Cohen, correcteur intransigeant à la vie finalement « pas si mal » ; Arthur Gopal, chargé des nécrologies et des brèves, dont un drame va curieusement propulser la carrière ; Ornella de Monterrecchi, lectrice trop consciencieuse encore plongée dans les numéros de 1994 ; Ruby Zaga, vieille fille aigrie et paria de la rédaction ; Winston Cheung, pigiste débutant au Caire confronté à la dure réalité de ce métier ; Craig Menzies, rédac chef adjoint que sa bonhomie perdra ; Abbey Pinnola, DRH obéissante ; Oliver Ott, directeur de la publication incompétent, débarqué en Italie par les hasards de l’héritage.

La caricature est évidemment le premier écueil d’un tel roman choral, surtout quand il s’agit du premier : mais Tom Rachman a l’intelligence de pousser certaines postures tellement loin (la fille aigrie, la « bonne poire », la carriériste forcenée...) qu’il en fait des archétypes fascinants. Les traits spécifiques de ces onze individus et le talent employé pour leur donner chair les rendent souvent étranges, tantôt attachants tantôt détestables, mais toujours complexes.

On voudrait que le livre soit plus long, que chacun des onze Imperfectionnistes reviennent sur le devant de la scène pour un second acte.
Et c’est là le seul véritable défaut de ce très bon roman - sur le monde de la presse, mais surtout sur la matière inépuisable que constitue l’être humain : il est trop court.


Les imperfectionnistes, Tom Rachman (Grasset, 400 pages, 2011)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty

lundi 16 mai 2011

L'homme qui aimait les chiens - Leonardo Padura


Leonardo Padura délaisse son héros Mario Conde (voir le dernier et très bon opus, Les brumes du passé) pour L'homme qui aimait les chiens, un récit triple autour de l’assassinat de Trotski et du communisme. Si ce projet d’envergure entamé il y a des années a pu me paraître au départ trop dense (et dense, il l’est, au risque peut-être d’être pesant certains), j’ai rapidement été happée et je ne l’ai plus lâché.

Trois récits se croisent, s’imbriquent, se devancent parfois, pour tresser au final une passionnante histoire qui court sur le XXe siècle.
Tout démarre – et tout finit – en 2004, par Iván, un Cubain miséreux à la carrière d’écrivain un temps prometteuse, aujourd’hui correcteur d’une revue vétérinaire. Il revient sur les confidences de « l'homme qui aimait les chiens » rencontré sur la plage en 1977, alors qu’il promenait ses deux lévriers barzoï. Le mystérieux Jaime Lopez lui a alors narré la vie de Ramón Mercader, l’assassin de Trotski. Cette rencontre a profondément marqué Iván – elle lui a fait peur, l’a obsédé, et surtout l’a fait réfléchir.

En parallèle, Padura déroule l’itinéraire édifiant de ce Ramón Mercader, communiste espagnol engagé tout jeune dans la révolution et finalement recruté pour devenir agent par un émissaire soviétique (venu « soutenir » les républicains espagnols). Ramón est alors envoyé dans un camp en URSS afin d’être formé, puis à Paris, à New York, et enfin au Mexique pour accomplir sa terrible mission. Au passage, on le fait devenir autre (il sera tour à tour Roman Pavlovitch, Jacques Mornard et Frank Jacson) et on lui remplit l’esprit (déjà bien embrumé par la propagande militante) : l’expression « bourrage de crâne » prend ici tout son sens.
C’est un portait tout en finesse que trace l’auteur : celui d’un croyant aveugle, fanatique, souvent exaspérant, mais attachant par maints aspects, et dont le destin nous attriste autant qu’il nous rebute.

A l'opposé de cet idéaliste crédule utilisé par le régime stalinien, Padura dresse la figure de Léon Trotski. On le suit depuis son exil en 1929 jusqu’à la fin, le 20 août 1940 : de la Turquie, à la France brièvement, puis la Norvège, et enfin le Mexique.
Lev Davidovitch est accompagné de sa fidèle épouse Natalia et, autour, les sympathisants viennent et repartent, les amitiés se brisent pour des motifs politiques ardus, les revirements sont innombrables… Se fier à quiconque devient nécessairement un choix et immanquablement une prise de risque.
On devine un homme intransigeant – qui ouvre quelque peu les yeux sur son propre fanatisme et les exactions commises aux premiers temps de la révolution russe – et passionné : une vie dédiée à la politique, une famille sacrifiée et dix ans d’exil passés dans la peur, la tristesse et l’épuisement nerveux.
Face à lui, Staline, la peur comme de mode gouvernement, les procès aberrants et les purges incessantes des années trente. Et, des décennies après, avec le recul de l’Histoire, le lecteur a du mal à imaginer comment le monde (les intellectuels, les politiques et les militants lambda) a pu se laisser emporter.

Pas de suspense ici : on sait où l’histoire finit. Mais ce qu’on apprend c’est comment, c’est pourquoi, c’est le parcours tortueux de chacun. Et on tourne les pages avec avidité pour découvrir ces fascinants portraits qui nous donnent à voir le combat idéologique comme raison de vivre – idée au final peu commune aujourd’hui.
Terrifiant sur le stalinisme, ses mécanismes et ses crimes, L'homme qui aimait les chiens est aussi le parcours d’Iván et ce qu’il peut raconter de Cuba: ses espoirs de jeune homme, la terreur politique, la désillusion années après années, la misère, et en définitive le terrible échec d’un projet de société…
Padura entend évoquer l’échec de la plus belle utopie du XXe siècle et la mise en parallèle est très instructive.

Un livre monumental et passionnant.


L'homme qui aimait les chiens, Leonardo Padura (Métailié, 672 pages, 2011)
Traduit de l'espagnol (Cuba) par René Solis et Elena Zayas


mardi 10 mai 2011

Les Neuf Dragons - Michael Connelly


Troisième livre reçu pour le Prix Seuil Policiers : Les Neuf Dragons sont « une enquête de Harry Bosch », le héros récurrent de Michael Connelly, comme nous en avise la couverture. J’ai lu plusieurs romans de cette série : ils sont assez réalistes et presque toujours efficaces (certains plus que d’autres, comme Le Poète ou Les Égouts de Los Angeles). Toutefois, je n’ai plus retrouvé le même élan dans les plus récents que dans les premiers – ou faut-il penser que mes goûts ont évolué et/ou que je me suis lassée ? C’est donc avec un espoir mêlé de doute que j’entame ce nouvel opus.
Petite réserve d’entrée de jeu : tout comme pour Losers nés, la couverture des Neuf Dragons ne me plaît pas énormément – elle fait un peu « bas de gamme ».

Le roman démarre par une banale intervention sur un meurtre dans un magasin de spiritueux du quartier chinois : M. Li a été abattu de trois balles, a priori lors d’un braquage. Une fois sur place, Bosch - dont l'équipier brille par son absence - doit demander l'aide de l’Unité des crimes asiatiques, notamment pour interroger la femme et les enfants du vieil homme.
Accompagné - à contrecœur - de l’inspecteur Chu, il oriente son enquête vers le racket opéré par la triade du Couteau de la Bravoure. Les deux policiers arrêtent rapidement un suspect mais celui-ci se refuse obstinément à parler.
À ce moment, la situation bascule. Après un coup de fil menaçant, Harry reçoit une vidéo sur son téléphone portable : sa fille de 13 ans, Madeline, qui vit à Hong Kong avec sa mère, est attachée et bâillonnée dans une pièce sombre… Pour Bosch, c’est clairement une mise en garde de la triade, l’injonction de laisser tomber l’affaire Li et de relâcher le suspect.
Pas aussi vieillissant qu’on pourrait s’y attendre, il prend le premier avion pour Hong Kong afin de retrouver sa fille (et accessoirement de boucler son enquête).
Mais les choses ne vont pas se passer simplement et c’est un véritable cauchemar qui commence…

L’écriture est efficace, rythmée, et même trop rythmée : les actions sont incessantes, très détaillées - comme pour pallier une intrigue faiblarde -, ne laissant que très peu de place à la réflexion, au travail d'enquête. Résultat, on se contente du minimum syndical pour la psychologie, tout restant assez superficiel. Quant aux situations, elles sont plus que rocambolesques et souvent archétypales. À l’image de Bosch qui est devenu la caricature de lui-même.
Comme son personnage fétiche, Connelly semble s’essouffler en essayant de changer la donne, et offre davantage un scénario énergique (et pourtant poussif!) qu’un bon polar. Dommage.


Merci quand même à Babelio et au Seuil… En attendant la suite !


Les Neuf Dragons, Michael Connelly (Seuil, 416 pages, 2011)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Robert Pépin



mardi 19 avril 2011

Le Royaume des Voleurs - William Ryan


Ce livre m’a été envoyé dans le cadre d’une édition spéciale de Masse critique que proposait Babelio… Le programme était très alléchant : un nouveau « polar russe » !
Ce Royaume des Voleurs m’a évidemment fait songer au très bon Enfant 44 de Tom Rob Smith (paru en 2009 chez Belfond) : un roman policier se passant dans la Russie communiste (certes, à presque 20 ans d’écart), un narrateur membre de la police mais pas « fanatique » du parti, une couverture dans le même esprit, et un auteur anglo-saxon (anglais/irlandais).
Mais malheureusement, la comparaison ne sert pas William Ryan…

L’histoire démarre bien : 1936, début du régime stalinien, l’inspecteur Korolev enquête sur le meurtre d’une jeune femme dont le corps mutilé a été retrouvé dans une ancienne église (NB la religion est interdite désormais). La victime pourrait être américaine, des questions de sécurité nationale seraient en jeu… résultat, le NKVD, la police politique, s’en mêle et entend être tenu au courant de l’évolution des investigations.
D’autres cadavres sont découverts et, certains éléments semblant les relier au premier, l'affaire prend de l'ampleur. Les pistes se multiplient et Korolev suspecte des tractations douteuses dans les plus hautes sphères. Contraint de naviguer entre les pontes du NKVD, son propre chef en disgrâce (contraint à la fameuse autocritique), et son nouveau partenaire, il se met en contact avec les Voleurs, la pègre de Moscou, espérant découvrir les coupables…

Le Royaume des Voleurs m’attirait plus pour ses aspects documentaires que pour son intrigue policière. Mais en définitive on ne découvre que peu de choses sur le fonctionnement soviétique de l’époque – en tout cas, peu de choses qu’on ne sache déjà… Et une mise en perspective assez légère, des critiques limitées : concédons néanmoins que cela découle logiquement du point de vue adopté par William Ryan, à savoir celui de son narrateur, un citoyen lucide mais assez discipliné pour l’instant…
À l’inverse, on peut aussi considérer que le roman se déroulant assez tôt dans l’histoire du régime, il reflète avec finesse une prise de conscience, un réveil du héros. Quoi qu’il en soit, je suis restée sur ma faim.

Qui plus est, William Ryan ouvre un grand nombre de pistes et de thématiques, empile les personnages secondaires, accumule des descriptions inutiles, mais explique peu, ne « creuse » que rarement et n'exploite pas les filets lancés par son récit. Il offre ainsi une intrigue très alambiquée, mais paradoxalement assez simpliste au final. Résultat on s'y perd beaucoup pour un dénouement plutôt plat.

Bref, Le Royaume des Voleurs fut une déception, mais il est vrai que j'en attendais beaucoup.


Je remercie néanmoins vivement les éditions des Deux Terres et Babelio.


Le Royaume des Voleurs, William Ryan (Deux Terres, 368 pages, 2011)
Traduit de l'anglais par Jean Esch



samedi 16 avril 2011

Minuit dans une vie parfaite - Michael Collins


J’attendais beaucoup de ce nouveau roman de Michael Collins, à qui l’on doit notamment la formidable Vie secrète de E. Robert Pendleton. Malheureusement la déception fut à la hauteur de l’attente…

Karl, la quarantaine, tente désespérément d’écrire un troisième roman, L’Opus, une œuvre qu’il veut bien évidemment grandiose. En attendant, il vit de petites piges – entre autres pour un portail porno –, d’un travail ponctuel comme « nègre » pour le célèbre auteur de polars Penny Fennimore, et surtout du salaire de sa femme, Lori. Et de ses économies.
Mariés sur le tard, ils forment après quelques années un couple désunis, en mal de communication. Âgée de 37 ans, Lori ne parvient pas à tomber enceinte et veut pourtant désespérément être mère. Elle entraîne donc son époux dans les méandres de la procréation assistée.

Karl, complètement dépassé par ce projet, qu’il a accepté plus pour avoir la paix que par réelle envie, essaie un moment de s’inspirer de cette expérience pour écrire une « non-fiction ». Mais, contacté par Fennimore pour reprendre leur collaboration, il change son fusil d’épaule, décide d’inclure tout cela dans un roman policier, emménage dans un petit appartement glauque, puis se lance dans des interviews et observations variées pour créer la trame de ce nouveau livre.
On le suit dans ses hésitations, ses multiples espoirs d’inspiration, ses rares articles catastrophiques et sa brouille avec Lori. Car le siphonage de leurs économies, l’état de tension de la jeune femme, les pressions de sa sœur totalement hystérique ont fait éclater le couple, au moins pour un temps.

Minuit dans une vie parfaite part à proprement parler dans tous les sens et l’on se perd dans ce récit chaotique et éclaté – à l’image de la vie et de l’état de Karl, certes.
Michael Collins ouvre d’innombrables pistes qui auraient pu être intéressantes (la procréation assistée, l’activisme politique aux États-Unis, la communauté russe, le porno, les problèmes de couple, la difficulté de rester écrivain, les traumatismes de chacun, etc.) mais n’en explore aucune et offre un roman assez creux, aux personnages terriblement caricaturaux.
Quelques jolis moments d’écriture et une savante manière de dévoiler par touches des pans de l’histoire de ses personnages ont parfois ravivé mon intérêt.
Mais la lecture fut poussive, et au final sans intérêt. J’ai même eu l’impression d’un fond de tiroir ressorti pour l’occasion (impression accentuée par le fait que le roman se déroule en 1999).
Dommage…


Minuit dans une vie parfaite, Michael Collins (Christian Bourgois, 336 pages, 2011)
Traduit de l'anglais par Isabelle Chapman


jeudi 7 avril 2011

Marina - Carlos Ruiz Zafón


À sa parution, j’ai adoré L’Ombre du vent : Barcelone, des livres, beaucoup de livres, ceux qui en sont amoureux, une jolie idée (le cimetière des livres oubliés), les réminiscences de la guerre d’Espagne, une enquête, des personnages troublants… Tout y était pour me séduire et, même si l’écriture de Zafón est parfois surchargée, elle y est toujours efficace. Un très bon roman, que je conseille d’ailleurs à ceux, bien rares, qui ne l’auraient pas encore lu.

Quant au deuxième roman de Carlos Ruiz Zafón paru en France, Le Jeu de l’ange, malgré de nombreuses critiques négatives – ou plutôt à cause d’elles –, j’ai voulu me faire ma propre impression.
L’histoire de David Martin tourne malheureusement vite en rond : le pseudo-pacte diabolique ne s’assume même pas comme tel, tout est terriblement attendu et le récit semble se déployer indéfiniment sur lui-même. Les petits défauts de L’Ombre du vent sont devenus ici énormes : le style est assez lourd, les intrigues stéréotypées, l’aspect fantastique bancal et l’ensemble bascule franchement dans le mélo.
Et pourtant, Zafón utilise les mêmes ingrédients que dans le précédent (y figure même les ancêtres de certains des personnages comme le libraire Sempere) : des livres, des histoires d’amour contrariées, Barcelone évidemment… Les mêmes ingrédients, mais moins savamment dosés. Résultat, je n’ai fait que survoler de nombreux passages et j’ai fini ma lecture avant tout par curiosité. Très décevant.

J’étais donc plutôt sceptique en ouvrant Marina.
Le schéma initial y est le même : un jeune homme (Oscar, adolescent de quinze ans) entreprend une quête à travers Barcelone. Oscar s'échappe souvent de son pensionnat pour se promener dans cette ville qu’il adore ; lors d'une de ses escapades, il rencontre Marina, une superbe et énigmatique jeune fille, et tous deux se lient rapidement d’amitié.
Marina lui présente son père, German, et lui confie la triste histoire de ce peintre aujourd’hui malade et de sa défunte épouse. Oscar leur rend fréquemment visite et commence à s'attacher au fragile duo que forment le père et la fille.
Un jour, Marina emmène Oscar dans un vieux cimetière observer une femme voilée qui vient régulièrement sur une tombe énigmatique ornée d’un papillon noir.

Dans une atmosphère cette fois véritablement fantastique, les jeunes gens sont entraînés dans une sombre enquête, peuplée de créatures macabres. Ils remontent des décennies auparavant et lèvent le voile peu à peu sur une terrible tragédie, et sur ses conséquences dévastatrices.

Par maints aspects, le roman manque de maturité : trop de pistes et de questionnements ne sont pas repris (l’histoire de Marina et Ramon aurait mérité d’être plus développée), les personnages manquent de nuance, tout comme certaines situations. Une interview de Carlos Ruiz Zafón m’a récemment appris qu’il s’agissait de l’un de ses premiers écrits, conçu originellement pour la jeunesse : on comprend mieux la dynamique de Marina en sachant cela – et on est plus indulgent.

Mais l’écriture est efficace, la construction du roman enlevée, l’univers troublant, et l’intrigue sait susciter la curiosité. C'est pourquoi, malgré mes réticences avec ce type de fantastique (le « fantastique dans le réel », à l’opposé de ce que je qualifierais de fantastique « global », comme celui de Tolkien), Marina a été un très bon moment de lecture.
Du vrai romanesque.


Marina, Carlos Ruiz Zafón (Robert Laffont, 304 pages, 2011)
Traduit de l’espagnol par François Maspero


mardi 5 avril 2011

Losers nés - Elvin Post


Deuxième livre de la sélection du Prix Seuil Policiers (après Les leçons du mal, très bien). Et première réserve : la couverture me déplaît d'emblée, elle laisse imaginer un texte peu sérieux, presque une farce. Probablement le style du dessin, les couleurs… et si on ajoute à cela le titre qui ne m’interpelle en rien, je ne me suis pas lancée avec beaucoup d’envie dans Losers nés.

Avec l’espoir d’échapper à la rue, le jeune Romeo vend des magazines d’occasion non loin de là où, il y a encore quelques mois, il faisait le guetteur pour le compte de Sean Withers. Son frère aîné, Russell, à peine sorti de prison, a essayé un temps de trouver un véritable emploi mais seuls des petits boulots peu gratifiants et payant mal s'offrent à lui. Souhaitant accéder à un certain statut (pense-t-il) et surtout gagner bien plus, il retombe rapidement dans l’orbite de Withers pour qui il récolte les gains auprès des « petites mains » du deal.
Quant à Withers, il s’agit du stéréotype du gros caïd libidineux, avide et sans intérêt – à qui l’argent permet de s’attacher une superbe et jeune copine, de vivre dans une grande maison hyper équipée, et de rouler dans une voiture hors de prix. À ses côtés, Elizondo, le plus ancien de ses employés, fait penser à un vieux chien fidèle, qui suit et sert son maître malgré les maltraitances.

Ajoutons évidemment quelques flics, certains plus consciencieux que d’autres comme Murino ; la mère alcoolique de Romeo et Russell ; le jeune Curtis Perlin, assassiné en prison ; sa mère, éplorée mais digne ; le vieux et charmant bouquiniste Vernon Baxter…
À l’image de ce dernier, quelques personnages sont davantage originaux et savoureux que les autres. Mais sinon, le tout manque terriblement d’intérêt et de piquant. L'auteur, néerlandais, situe son action à New York mais n'incarne pas la ville comme il le pourrait : résultat, un décor de carton-pâte très attendu.

Pour réussir un roman sur ce thème, il faut trouver de quoi renouveler singulièrement le genre : une écriture (pas mauvaise ici mais pas exceptionnelle non plus, juste agréable et efficace), une intrigue inédite (il n’y en a même pas, en fait), ou un rythme haletant (et là, on s’ennuie beaucoup)…
Malheureusement, mes premières impressions n’ont donc pas été démenties. Comme le laissait présager la quatrième de couverture, c’est une énième histoire de flics, de drogue et de dealers – les méchants gros bonnets, les plus jeunes pris dedans par nécessité, ceux prêts à tout pour se faire de l’argent facile et grimper les échelons… Qui plus est, l’absence de véritable énigme me fait m’interroger sur la qualification de « roman policier » : il s’agirait plus d’un roman d’atmosphère. Bref, la lecture de Losers nés ne m’a pas enchantée…

Merci quand même à Babelio et au Seuil. J’attends avec impatience le troisième polar en lice…


Losers nés, Elvin Post (Seuil, 316 pages, 2010)
Traduit du néerlandais par Hubert Galle



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