lundi 16 mai 2011

L'homme qui aimait les chiens - Leonardo Padura


Leonardo Padura délaisse son héros Mario Conde (voir le dernier et très bon opus, Les brumes du passé) pour L'homme qui aimait les chiens, un récit triple autour de l’assassinat de Trotski et du communisme. Si ce projet d’envergure entamé il y a des années a pu me paraître au départ trop dense (et dense, il l’est, au risque peut-être d’être pesant certains), j’ai rapidement été happée et je ne l’ai plus lâché.

Trois récits se croisent, s’imbriquent, se devancent parfois, pour tresser au final une passionnante histoire qui court sur le XXe siècle.
Tout démarre – et tout finit – en 2004, par Iván, un Cubain miséreux à la carrière d’écrivain un temps prometteuse, aujourd’hui correcteur d’une revue vétérinaire. Il revient sur les confidences de « l'homme qui aimait les chiens » rencontré sur la plage en 1977, alors qu’il promenait ses deux lévriers barzoï. Le mystérieux Jaime Lopez lui a alors narré la vie de Ramón Mercader, l’assassin de Trotski. Cette rencontre a profondément marqué Iván – elle lui a fait peur, l’a obsédé, et surtout l’a fait réfléchir.

En parallèle, Padura déroule l’itinéraire édifiant de ce Ramón Mercader, communiste espagnol engagé tout jeune dans la révolution et finalement recruté pour devenir agent par un émissaire soviétique (venu « soutenir » les républicains espagnols). Ramón est alors envoyé dans un camp en URSS afin d’être formé, puis à Paris, à New York, et enfin au Mexique pour accomplir sa terrible mission. Au passage, on le fait devenir autre (il sera tour à tour Roman Pavlovitch, Jacques Mornard et Frank Jacson) et on lui remplit l’esprit (déjà bien embrumé par la propagande militante) : l’expression « bourrage de crâne » prend ici tout son sens.
C’est un portait tout en finesse que trace l’auteur : celui d’un croyant aveugle, fanatique, souvent exaspérant, mais attachant par maints aspects, et dont le destin nous attriste autant qu’il nous rebute.

A l'opposé de cet idéaliste crédule utilisé par le régime stalinien, Padura dresse la figure de Léon Trotski. On le suit depuis son exil en 1929 jusqu’à la fin, le 20 août 1940 : de la Turquie, à la France brièvement, puis la Norvège, et enfin le Mexique.
Lev Davidovitch est accompagné de sa fidèle épouse Natalia et, autour, les sympathisants viennent et repartent, les amitiés se brisent pour des motifs politiques ardus, les revirements sont innombrables… Se fier à quiconque devient nécessairement un choix et immanquablement une prise de risque.
On devine un homme intransigeant – qui ouvre quelque peu les yeux sur son propre fanatisme et les exactions commises aux premiers temps de la révolution russe – et passionné : une vie dédiée à la politique, une famille sacrifiée et dix ans d’exil passés dans la peur, la tristesse et l’épuisement nerveux.
Face à lui, Staline, la peur comme de mode gouvernement, les procès aberrants et les purges incessantes des années trente. Et, des décennies après, avec le recul de l’Histoire, le lecteur a du mal à imaginer comment le monde (les intellectuels, les politiques et les militants lambda) a pu se laisser emporter.

Pas de suspense ici : on sait où l’histoire finit. Mais ce qu’on apprend c’est comment, c’est pourquoi, c’est le parcours tortueux de chacun. Et on tourne les pages avec avidité pour découvrir ces fascinants portraits qui nous donnent à voir le combat idéologique comme raison de vivre – idée au final peu commune aujourd’hui.
Terrifiant sur le stalinisme, ses mécanismes et ses crimes, L'homme qui aimait les chiens est aussi le parcours d’Iván et ce qu’il peut raconter de Cuba: ses espoirs de jeune homme, la terreur politique, la désillusion années après années, la misère, et en définitive le terrible échec d’un projet de société…
Padura entend évoquer l’échec de la plus belle utopie du XXe siècle et la mise en parallèle est très instructive.

Un livre monumental et passionnant.


L'homme qui aimait les chiens, Leonardo Padura (Métailié, 672 pages, 2011)
Traduit de l'espagnol (Cuba) par René Solis et Elena Zayas


3 commentaires:

  1. Alors celui là, c'est mon énorme coup de coeur de ces 6 derniers mois! J'ai adoré ce livre, très touchée par l'écriture!!! je viens de l'offrir à mon père et j'attends son retour avec impatience!!! Vraiment incroyable!!! Tu en as lu d'autres de lui? Bises Armelle

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  2. Désolée, je viens de revoir ta liste et j'ai trouvé une autre recommandation de ta part pour cette auteur... je cours l'acheter! Bises

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  3. Honnêtement, sa série policière est bien différente. Vraiment pas mal mais de moindre envergure, je dirais. Tu me diras.

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