mardi 13 septembre 2011

Le Chagrin et la Grâce - Wally Lamb


Le précédent roman de Wally Lamb, La Puissance des vaincus (2000), m’a laissé un formidable souvenir : ampleur du récit, plongée au plus profond des névroses familiales, quête d’identité… les ingrédients du grand roman américain comme je les aime, à l’image d’un Pat Conroy ou d’un Richard Russo – avec certes moins de mordant et une gravité, voire une tristesse, plus évidente.
Dix ans pour écrire ce nouveau livre, Le Chagrin et la Grâce, mais cela valait la peine d’attendre. Il m’a happée dès le début et ses 800 pages m’ont paru au final bien peu.

Lors de la tuerie de Columbine (avril 1999), Wally Lamb travaillait déjà sur The Hour I First Believed (le titre en VO, qui s’est imposé à lui, explique-t-il en préface, en pensant à sa mère, et que l'on retrouvera en écho) et, très vite il a décidé de l’intégrer à son roman en faisant de son héros une « victime collatérale ».
Caelum Quirk enseigne la littérature au lycée de Columbine, ou plutôt enseignait, car Le Chagrin et la Grâce, habilement construit, est un récit au passé : celui de la vie d’avant Columbine, de sa vie avec sa troisième épouse Maureen, de leur couple branlant, du choix d’emménager à Littleton, l’autre bout du pays, pour se redonner une chance, de la jeune Velvet, adolescente en rébellion que Maureen a pris sous son aile… Puis celui de LA journée, de la culpabilité de Caelum de ne pas avoir été sur place car il veillait sa tante dans le Connecticut, de ces heures passées à ne pas savoir où était sa femme, à réaliser ce qu’elle représentait réellement pour lui, du traumatisme profond que cela a provoqué chez elle… Avec une acuité passionnante, Wally Lamb questionne cette horreur, la folie des deux adolescents meurtriers, les séquelles innombrables des uns et des autres, ce que cela peut dire d’une société… Et, là où l’on pouvait redouter une narration voyeuriste, se découvre un véritable roman psychologique.

Mais pas seulement, et heureusement – un livre ne portant que sur Columbine aurait été par trop pesant –, car le couple Quirk tente de prendre un nouveau départ et retourne à Three Rivers, la ferme familiale du Connecticut que sa tante vient de lui léguer. Et, tandis que Maureen sombre dans la dépression post-traumatique, Caelum sonde sa propre mémoire. L’étude des montagnes d’archives accumulées par sa tante le plonge dans deux cents ans d’histoire familiale et révèle des choses inattendues : secrets de familles, mensonges répétés sur des générations, doute sur sa propre identité…
Le Chagrin et la Grâce ne s’arrête pas là, et de nouveaux événements viennent encore bouleverser ce couple meurtri et donner du souffle au récit.

Héros brisé, Caelum n’est a priori pas un homme aimable : égoïste, flirtant avec l’alcoolisme, colérique… Mais, au fil du récit, son portrait tout en nuances, ses espoirs, ses regrets, ses blessures, en font un personnage profondément attachant – parce que profondément humain. Avec, autour de lui, des êtres pleins d’imperfections, capables de bassesses comme de moments lumineux. Là est peut-être la plus grande force de Wally Lamb : savoir donner corps à des personnages infiniment complexes. À l’image de la société qu’il entend dépeindre.

Un texte extrêmement foisonnant qu’il serait bien trop long, et trop touffu, de résumer ici ; parfois trop foisonnant lorsqu’il en vient à égarer son lecteur et traîne en longueur – mais c’est le seul bémol.
Servi par une écriture admirable, Le Chagrin et la Grâce est véritablement un grand roman. À lire.


Le Chagrin et la Grâce, Wally Lamb (Belfond, 532 pages, 2010 / Livre de Poche, 800 pages, 2011)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Caron


4 commentaires:

  1. Bonjour Lily. J'ai l'impression que je pourrais beaucoup aimer ce roman, je prends donc note de son titre. Il m'évoque un peu "Il faut qu'on parle de Kevin" de Lionel Shriver que je te recommande chaudement si tu ne l'a pas lu...

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  2. Bonjour Reka,
    J'ai lu "Il faut qu'on parle de Kevin": le sujet me faisait craindre que ce soit trop mélo, et pas du tout! Un très bon roman effectivement. Je n'y avais pas pensé, mais c'est vrai qu'il y a une parenté (au moins par rapport à la première moitié du "Chagrin et la Grâce"). J'espère que tu aimeras...

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  3. Salut lily!
    D'abord je te souhaite une super année, pleine de lectures passionnantes (entre autres!). Je viens de lire ce roman, et comme toi, j'ai été happée! Je viens de passer qq jours à Goa et du coup j'ai eu le temps d'avaler les 800 pages en trois jours, je n'arrivais pas à le lacher!!! Encore mercis pour tes précieux conseils!!!!
    J'ai lu aussi en Inde un autre roman pour lequel j'ai eu un ENORME COUP DE COEUR et je suis sûre qu'il te plaira!!! Il s'agit de "le coeur cousu" de Carole Martinez... Un conte magnifique (que je ne m'aventurerai pas à te décrire... je ne t'arrive pas à la cheville!). Laisse toi porter par cette poésie et dis moi ce que tu en penses!!!
    Gros bisous
    Armelle
    PS : Mimi et moi on est dans le coin, pour boire un coup!!!

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  4. Belle année à toi aussi, Armelle!
    Contente que tu aies aimé :)
    "Le cœur cousu" fait partie de ces livres qui me prouvent que chaque livre a son moment... Je l'ai lu, j'ai pu voir sa poésie, sa qualité, mais je n'ai jamais réussir à entrer dedans. Mais tu me donnes envie de le relire!

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