jeudi 9 février 2012

Le Turquetto - Metin Arditi


Un joli (et surprenant) coup de cœur que ce Turquetto, de Metin Arditi – découvert grâce encore (après Les oreilles de Buster) au prix Pages des libraires. Surprenant car je me suis lancée sans être bien emballée : les romans historiques ne m’attirent pas spécialement – pas assez ancré dans leur temps, ou trop tout au contraire. Et pourtant l’Histoire m’a toujours beaucoup intéressée, allez savoir ! Mais là, l’enthousiasme des libraires et les thématiques (Constantinople, Venise, l’histoire de l’art, la peinture, les rapports religion/art…) du Turquetto ont fini par vaincre mes hésitations.

Le roman s’ouvre par une note sur L’Homme au gant, un tableau du Titien (dont un détail est reproduit en couverture) exposé au Louvre, dont voici un extrait :

La signature apposée au bas de la toile, TICIANUS, toute en majuscules, semble peinte de deux couleurs différentes. […] La différence de couleur n’est pas criante, mais elle est indiscutable. En 2001, […] frappé par l’anomalie de la signature, l’historien de l’art chargé de l’accrochage a pris sur lui de procéder à une analyse. Le résultat de cette recherche […] « Tout porte à penser que la signature a été apposée en deux temps, par deux mains différentes, et dans deux ateliers distincts. »

Tout un programme ! Je suis d’ailleurs (après avoir fini ma lecture) allé vérifier cela, mais je vous laisse découvrir (ou pas !) si l’anecdote est véridique – ce qui ne compte pas beaucoup au final pour apprécier ce très beau roman.

Fils de réfugiés juifs espagnols, Elie Soriano naît à Constantinople en 1519. Passionné, bravant les interdits religieux (et familiaux), l’enfant passe son temps à dessiner, et sa plume est sûre. Celui que l’on surnomme « le petit rat » à cause de son visage sait représenter, amplifier, magnifier ses modèles. On le découvre dans les rues de Constantinople, furetant de-ci de-là, raillant son père, vieil employé d’un marchand d’esclaves, découvrant la fabrication des encres auprès d’un maître musulman, subissant l’injure quotidienne du ghetto… Le jeune garçon est brusquement poussé à l’exil et embarque pour Venise où il va commencer une nouvelle vie sous le nom d’Elias Troyanos – un chrétien ayant fui l'empire ottoman.
Toujours aussi brillant et intuitif, Elias parvient à travailler dans les ateliers du « Maître », le grand Titien, assure son trait, expérimente les couleurs et le sfumato, apprend le métier et obtient petit à petit des commandes en son nom. Celui que Titien a surnommé le Turquetto, « petit Turc », se construit une carrière, installe sa famille et prospère en pratiquant ce qu’il aime le plus…
Mais un malheureux enchaînement d’événements et la réalisation pour une importante congrégation religieuse d’un tableau exceptionnel – une immense Cène dont je ne vous dévoilerai pas l’originalité – vont le jeter entre les mains de l’Inquisition et le mener sur un tout autre chemin.

La magie de la peinture et de l’époque, la finesse de l’écriture, le talent de Metin Arditi pour faire vivre ses personnages et ses décors, m’ont totalement emportée – et pour une fois l’expression n’est pas galvaudée. Puissance de la religion, liens entre l'art et le pouvoir, histoire d'une passion, questionnement autour de la filiation… Malgré les petites imperfections du récit (un début un peu lent, une fin qui ne me convint qu’à moitié), j’ai véritablement adoré Le Turquetto. Et, pour preuve, je me suis empressée de me renseigner sur les autres romans de Metin Arditi…



Le Turquetto, Metin Arditi (Actes Sud, 288 pages, 2011)

2 commentaires:

  1. Bonjour Lily,
    J'ai découvert cet auteur cette année moi aussi avec "Loin des bras" que j'ai vraiment apprécié, et je compte aussi poursuivre avec d'autres romans, parce que cet auteur là semble aller vers des coins de littéraire un peu en décalage avec l'air du temps, comme un temps en dehors mais très fin, comme ta note le dit bien.
    Athalie

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  2. Parfait! C'est le premier que j'ai retenu pour continuer à découvrir cet auteur...

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