vendredi 30 septembre 2011

En un monde parfait - Laura Kasischke


J’ai un faible pour les romans de Laura Kasischke : et même si le précédent, La couronne verte (2008), m’avait quelque peu déçu, ça n’a pas entamé mon enthousiasme à découvrir En un monde parfait, le cru 2010.

Jolie trentenaire célibataire, Jiselle, hôtesse de l’air, incarne l’héroïne si typique de Kasischke : apparemment sans histoires, fille de la classe moyenne, rêvant au prince charmant. Comme un cliché, elle rencontre un beau commandant de bord, veuf et père de trois enfants, Mark Dorn, qui tombe fou amoureux et lui demande de l’épouser après quelques semaines. Si ce conte de fées est le rêve de ces collègues, certains éléments font s’interroger les proches de Jiselle – et le lecteur au passage : pourquoi le charmant Mark attend-il pour lui présenter ses enfants, comment expliquer la précipitation de cette demande, pourquoi tant d’insistance pour que Jiselle arrête de travailler et s’occupe de son nouveau foyer, quelles sont les raisons des nombreux petits mensonges de Mark – en cachent-ils de plus troublants ?
Ravie de ce changement de vie idyllique, Jiselle balaie ces doutes et s’installe avec joie dans la grande maison. Mais elle déchante rapidement : Mark est le plus souvent absent, les deux filles sont impossibles (l’aînée, Sara, est franchement hostile), les journées sont longues et creuses, les nuits tristes. Et les questions que pose cette union restent sans réponse. S’il n’y avait la bienveillance du petit dernier, Sam, et une foi tenace en l'avenir, Jiselle sombrerait dans le désespoir.

En toile de fond depuis le début de roman, l’étrange « grippe de Phoenix » (ersatz de grippe A, aviaire ou autre) se propage aux États-Unis et fait extrêmement peur : pour l’ampleur de la contagion mais surtout pour son origine et son mode de transmission toujours inconnus. L’épidémie enfle, touche toutes les catégories de population (même Britney Spears !), menace le reste du monde (qui n’en déteste que plus le géant yankee) et provoque bien entendu une panique exponentielle.
C’est une Amérique proche de nous que Laura Kasischke met en scène dans cette science-fiction pas si inimaginable – tel un scénario catastrophe de la pandémie de grippe A de 2009.
La situation empire de jour en jour jusqu’à basculer dans l’état d’urgence et même de guerre – quarantaines drastiques, pénuries, coupures de courants, pillages, etc. Seule avec les enfants, Jiselle doit gérer tout cela, et leurs liens vont progressivement se complexifier.

En un mot : surprenant. Pas tant pour l’histoire qui reprend les motifs chers à Laura Kasischke (le mariage et ses surprises, la méconnaissance de l’autre, l’ennui du quotidien, les secrets, les faux-semblants) ni pour sa mécanique récurrente (une situation qui s’enraye) mais pour ce que touche cette mécanique : le contexte général très particulier qui va devenir le cœur de l’histoire. Un changement dans l’ampleur des événements perturbants, donc, mais pas nécessairement sur le propos car, comme bien des romans de Laura Kasischke, En un monde parfait présente une critique ironique des États-Unis et de la société contemporaine. Les choses en arrivent à des stades totalement fous, et c’est aussi drôle que terrifiant.
On regrette d’ailleurs que la romancière n’évite pas certain cliché, comme elle se contentait de la facilité. Plus ennuyeux selon moi, le texte se termine dans le flou sur de nombreux aspects – ne se termine pas vraiment en fait – et m’a laissée dans l’expectative.

Malgré cela, En un monde parfait est un très bon roman, dans lequel Laura Kasischke a su injecter un matériau renouvelé.


En un monde parfait, Laura Kasischke (Christian Bourgois, 336 pages, 2010)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Eric Chédaille



4 commentaires:

  1. Ce dernier roman est plus tentant que ses avant-derniers. J'avais lu "Un oiseau blanc dans le blizzard" et j'avais globalement apprécié. Celui-ci me fait de l’œil en dépit de son absence de fin... Je prends note!

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  2. J'espère qu'il te plaira... En sachant que ça reste du Kasischke : plutôt lent et parfois elliptique...

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  3. Bonsoir Lily,
    Décidement, je croise souvent votre blog ces temps-ci ... Lors de ma dernière visite, je n'avais pas vu que vous aviez "chroniqué" ce livre, que j'ai découvert et lu la semaine dernière ... et je retrouve dans vos impressions le goût particulier de ce monde à la fois étrange et à la fois familier, tragique et drôle qui fait basculer son lecteur du scepticisme à l'inquiétude. Une lecture prenante.
    Bonnes lectures, à bientôt à vous lire !
    Athalie

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